Il y a deux ou trois ans, un été, j’ai rattrapé mon retard et trouvé Les Ritals après des années à l’avoir à la lisière de l’esprit. C’est tentant comme titre, quand ton père est moitié immigré et qu’il a bercé ton enfance des anecdotes de la sienne.
Et j’ai noté une ou deux phrases sur un coin de nappe (ou ce qui s’en rapproche le plus de nos jours : dans une application de prise de notes sur mon téléphone), que je m’en vais ci-après vous narrer.
J’ai expliqué à papa qu’il n’y aurait plus jamais la guerre. Il m’écoutait attentivement, parce que je savais lire et que j’allais à l’école. Un qui sait lire, faut écouter ce qu’il dit.
Ça, par exemple, je l’ai vu de temps en temps dans les yeux de mon père, ce moment où tu prends un ton docte du gars qui a fait des zétudes, à propos d’un truc que tu connais, et la petite lueur d’écoute attentive de ton paternel.
J’étais, je vous l’ai dit, boulimique de lecture, je lisais l’imprimé jusqu’à la dernière ligne, jusqu’au nom de l’imprimeur, celui de l’éditeur, l’adresse de la rédaction, tout, je vous dis.
Ah oui, ça c’est davantage ma jeunesse que la sienne. Ajoutez à ça une distraction très marquée, mélangez, et vous obtenez un môme qui se fait gronder dans un supermarché parce que le truc qu’il s’est mis à lire (la composition d’un paquet de gâteaux, je crois) n’était pas du tout dans le caddie de ses parents. C’est amusant, avec le recul.
(Oui, je lisais tout moi aussi, jusqu’à l’achevé d’imprimer — ah, Imprimerie Bussière à Saint-Amand-Montrond, sais-tu seulement comme tu as bercé mon enfance !)
Un truc qui m’a bien fait sourire dans ce bouquin, ce sont les mots italiens francisés [1]. La polenta, prononcée [poˈlɛnta] normalement [2], devient polente (prononcée « polinte ») chez les Ritals qui veulent plus ou moins inconsciemment s’intégrer. Et ce n’est pas un hasard si on le dit comme ça chez mon père, qui le tient de ses ascendants : Cavanna était né à une année de mon plus vieil oncle.
Bref, je dis « polinte » et tout le monde me regarde bizarrement. Le patrimoine familial nous suit toute notre vie, qu’on le veuille ou non.
(Ah, j’oubliais : très chouette roman, plein d’esprit, plein d’images mentales à la Doisneau.)