Dans une vie antérieure j’ai gommé mon accent assez rural de Solognot, parce que j’étais monté à la grande ville, parce que par un mécanisme à demi-conscient tout le monde ajuste son accent et ses expressions à son entourage, animal social que nous sommes.
C’est amusant, en farfouillant :
Selon Pierre Bigot de Morogues, l’ignorance et l’apathie sont les traits distinctifs du Solognot en 1822.
La Sologne est à ce point stigmatisée que les Parisiens de la génération précédente avaient l’expression « aller de Romorantin à Paris » (pour dire monter à la ville), et que même Desproges s’en sert plusieurs fois (« un chauffeur de taxi du plus pur type Romorantin »).
Bref l’accent est plutôt bien caché maintenant, et le patois aussi. Mais de temps en temps ils ressurgissent. Il m’en reste un peu, je vous le laisse ?
Béchoyer
Béchoyer, c’est un peu comme être de guingois, de travers. Mais c’est très particulier. Par exemple, un gilet qui béchoye [1] va bien aux épaules, certes, mais quelque chose plus bas ne s’aligne pas pile symétriquement. Bref il tombe mal, mais pas pour un problème d’amplitude ou de forme un peu liquide, et pas de travers partout non plus. Contrairement à « de guingois », je n’ai entendu « béchoyer » que pour les vêtements.
Exemple : « Ooooooh, bin vlà qu’mon gilet béchoye. »
Un mot bien pratique dont je ne connais pas d’équivalent français.
Se déchichenocher
Encore un très beau mot que je n’ai pas retrouvé en français académique.
Un vêtement qui se déchichenoche [2], c’est un vêtement dont le bord se délite, ou s’il est tricoté, dont le fil commence à se détricoter ; toujours au bord.
Exemple : « Ooooooh, bin vlà qu’mon gilet sdéchic’noche. » [3]
Se rabibocher
Lui a un équivalent : se réconcilier. Se rabibocher est bien français, mais il est utilisé à une bonne fréquence. On ne dit jamais « se réconcilier », toujours « se rabibocher ».
(Je vois qu’au Québec il signifie remettre en état, tiens !)
Se bauger
Une bauge [4] c’est le lit que se creuse le sanglier dans la terre pour se poser. La bauge est connue de tout le monde semble-t-il, même Victor Hugo (c’est dire si ce n’est pas qu’un régionalisme), et utilisée de façon désobligeante pour désigner une habitation mal tenue par Balzac et Courteline.
Le verbe « bauger » est répandu un peu partout, le Wiktionlaire nous donne des échantillons de prononciation de Lyon et des Vosges [5], mais chez nous il est réflexif. Le sanglier se bauge. Par contre au passé on dit « il s’était baugé » ou « il était baugé » indifféremment, avec une préférence tout de même pour le premier.
C’est très fréquent, même, d’extrapoler quand on a surpris un animal qui détale. On ne dit pas « il était caché », mais « il s’était baugé là » (où que soit le « là » d’ailleurs, qui reste souvent indéfini).
Une biaude
Là encore dans le Wiktionnaire je découvre que ce n’est pas spécifiquement solognot, mais on l’emploie encore, en tout cas à chaque fête folklorique, pour parler de cette espèce de blouse longue et couvrante (pour moi, c’est l’équivalent de chez moi de la vareuse bretonne, mais franchement plus longue : elle descend facilement jusqu’à mi-cuisse, voire aux genoux). Chez les gens natifs de Sologne tout le monde connaît le mot.
Un r’nard, des pâââtes. un chwal.
On a les syllabes bien marquées, le « ch » est un son gouleyant, et ce qui le suit s’en trouve transformé.
Ainsi « chez nous » devient « cheux nous » (cette prononciation ne se trouve plus guère que chze les vieux cependant). Un cheval devient un chwal, par assimilation progressive [6].
Le renard devient un « r’nard » : oui, exactement comme en Québécois [7]. Ça fait rire mes enfants qui ont adopté cette prononciation [8].
Et, comme pour la biaude, les pâtes deviennent des « pâââtes » dans un « â » long et appuyé (à ne pas confondre avec le « a » du Nord qui tire franchement vers le « o » : ce dernier est plutôt relâché, tandis que notre « â » ressemble à la caricature d’une déclamation théâtrale).
Et pour la bonne bouche
La pluie c’est de l’eau. La possibilité de pluie c’est « en cas d’eau ». En solognot tout naturellement la pluie devient un acadiau. Bon là ne cherchez pas, le Wiktionnaire déclare forfait, il faut aller sur le site de Ligny-le-Ribault pour le trouver.
Et puis comme on bouffe des lettres, on ne dit pas « sur le coin » mais « su’l’coin ».
Et puis comme on diphtongue à mort (un seau est « un siau »), le nez, museau, devient un « musiau ».
Ainsi pour être tout à fait Solognot, ne dites pas que vous allez prendre pas la pluie, dite que vous allez vous prendre un acadiau su’l’coin du musiau.
(Ma génération n’utilise plus l’expression complète, mais on dit encore fréquemment « acadiau ». Héééé oui. Assumons.)
Et je vous épargne la « bérouette » (brouette), qu’on retrouve aussi en berrichon en « bourouette », parce qu’on n’a pas que ça à faire.
Et vous, ça dit quoi ?
Comme il reste encore des commentaires sur ce site, ce serait avec plaisir que j’écouterais vos régionalismes. C’est tout à fait savoureux (conclut-il pompeusement comme dans un salon parisien).