Ma distraction est sans doute un de mes principaux défauts. Je me représente toujours ça comme un courant d’air, une "porte ouverte"
par laquelle entre et sort le monde, sans la concentration nécessaire à une discussion suivie.
Je ne pouvais que m’identifier à Mathieu, le personnage principal, dont la tête un jour "s’ouvre". Il dit avoir une migraine. Au-delà de ça, il perd son ancrage au quotidien. Sa tête ouverte devient alors un filtre par lequel le réel se métamorphose. L’entonnoir mental qui émane de Mathieu est le seul endroit dans lequel les choses soient nettes quand il marche dans les rues. Et au contraire, quand la vie devient trop palpable, les coins trop aigus, les lumières trop tranchantes, alors c’est son monde mental qui rend les choses floues.
Ce premier voyage, c’est une histoire de rupture. Le quotidien si confortable, si tranquille, ordonné, sans risques —mais sans surprises, Mathieu ne peut plus le supporter. Il erre dans une ville qu’il connaît trop bien, et finit par perdre le nom des rues. Le clochard qu’il rencontre voyage sans bouger, lui, par le truchement de la dive bouteille.
Rupture du quotidien vers l’inconnu, de la routine vers l’aventure ; je ne suis pas sûr du message que peut véhiculer cet album. D’autant que l’oeuvre de Baudoin ne se prête jamais à une analyse univoque. Mathieu ose enfin marcher dans des chemins qu’une peur enfantine (infantile ?) lui interdisait de prendre.
Pour celui qui tous les jours s’interroge sur les choix à faire, sur la conduite à tenir, il serait sans doute trop facile de suivre la recette de Baudoin : après tout, cet album ne prône-t-il pas la fuite ?
En tous les cas, cette rupture avec l’autobiographie n’est sans doute pas le plus mauvais album de Baudoin. Il reste un plaisir trop rare, celui de lire un poète qui dessine comme il écrit, trempant le pinceau à la fontaine de la beauté...