Pas loin de ma librairie préférée [1], il y a aussi un supermarché de la culture.
La différence est simple : à la librairie on a affaire à des gens cultivés et passionnés. Vous trouverez toujours des exemples d’endroits où les libraires sont acariâtres et sentent la poussière de leurs livres, je sais bien. Mais d’une façon générale, et en particulier dans le contexte de la concurrence entre petites librairies et grandes chaînes, qui a tout de David contre Goliath, je ne crois pas qu’on puisse être libraire sans y croire.
Quant au supermarché de la culture, on y trouve chaque référence en 15 exemplaires, mais bizarrement on a moins l’embarras du choix. Tout ce qui n’est pas grand public a moins de chances d’être présenté, sauf si là aussi on a affaire à un passionné. C’est plus rare.
Or donc, dans ma boulimie de rayonnages, je vais indifféremment à la librairie ou au supermarché de la culture, et j’y entends des choses ahurissantes.
L’autre jour, par exemple, une adolescente s’approche du guichet de la libraire, avec son petit gilet charté, et explique qu’elle cherche un livre de Raymond Queneau.
La libraire : Oui ? Raymond Queneau ? Vous l’épelez comment ?
Les bras m’en sont tombés.
Pour me réconforter j’ai feuilleté un bouquin intitulé Les indispensables Virgin [2], une compilation des bandes dessinées qu’il faut avoir lues (entendez : achetées ici, tenez le présentoir est là). Suis-je le seul à trouver étonnant qu’on nous fasse payer ce volume qui n’est au fond qu’un catalogue ?
Un peu comme on comptait les autocollants Panini quand on était petits, j’ai regardé le livre de bout en bout en estimant ce que j’avais de ce qui est recommandé. La moitié ! Un petit orgueil inutile me fait me rengorger : je suis un mec cultivé puisque j’ai la mitié de ce qui est recommandé. Je regarde l’autre moitié avec un léger dédain : mon dieu que c’est grand public.
Parfois mon snobisme est insupportable, même pour moi.
Passons à autre chose : Cerebus est enfin publié en français. Je l’avais proposé à un éditeur que j’aime il y a quinze ans, mais il n’avait pas trouvé que ça se vendrait. Effectivement c’est assez confidentiel, ça faisait même l’objet de blagues rituelles quand je travaillais pour Semic : Ah c’est toi le lecteur français de Cerebus ?
Parce qu’il faut vous dire, si vous ne le connaissez pas : Cerebus c’est l’aventure d’une vie de Dave Sim, un épisode de 20 pages par mois, le tout pendant 300 mois. Vous avez bien lu : 25 ans de publications mensuelles. Dans Cerebus, dont je me promets de faire l’apologie depuis longtemps (mais une idée chasse l’autre, je suis un poisson rouge), Dave Sim touche à tout : le rapport entre les sexes, la violence conjugale, la religion (et les guerres de), la politique (élections, démagogie, jeux de pouvoirs), le rapport entre l’auteur et sa création (Je suis ton créateur. —Alors tu es mon dieu ? — Non, mais je suis ton créateur, je te dessine tous les mois
). J’arrête là, je ferai un jour un véritable article apologique.
L’important c’est : Cerebus est enfin publié en français !