En 2016, trois mois avant que ma vie ne s’effondre une vraie grosse fois, j’écrivais ça :
Le bonheur est un choix. Il faut pouvoir décider tous les jours d’être heureux.
Depuis, ça va et ça vient.
Depuis j’en suis venu à me renseigner sur la cyclothymie, c’est vous dire.
Depuis j’ai un peu plus étudié la question. [1]
Et j’en ai compris qu’une partie de notre capacité au bonheur tient à nos gènes, et une partie presque aussi grande à notre approche du monde (voir Happy, documentaire de Roko Belic par exemple). Depuis [2] un an, de confinement en solitude, de nouvelles catastrophiques en on-ne-sait-rien, les bonnes nouvelles se font rares. Et en plus 2022 promet d’être plus triste que 2002, c’est dire [3]. Ces derniers mois j’ai sombré, doucement, lentement, sûrement.
Et ce soir, assis sur le nouveau balcon, dos au soleil, les épaules et la nuque tièdes, calmant un torticolis comme ceux d’avant la kiné, ceux d’il y a 12 ans. Il faut dire que depuis un an plus de piscine, plus de sport ou presque, plus de moments à rire et à faire le zouave comme un fou qui défoulent et libèrent toute cette énergie. Solitude, enfermement, pandémie comme tout le monde. Colère sans exutoire, tension idem, démotivation pour remuscler tout ça avec plaisir, cercle vicieux : tu es triste et en colère pour tout donc tu as mal, donc tu es triste et en colère pour tout.
Adoncques, ce soir, assis sur le nouveau balcon, j’ai poussé un bon sang de vrai soupir d’aise comme je n’en avais pas poussé depuis longtemps (deux ans peut-être ?). Et j’ai pensé : « Assez. » Je ne dis pas que la tristesse est forcément une complaisance, attention, mais je décide de lui mettre un coup de pied dans le derrière, je paye pour voir en somme. Assez.
Je ne sais pas quelle est ma propension génétique au bonheur, quelle marge j’ai pour décider ; j’ai suffisamment perdu en naïveté depuis l’article dont je parlais au début [4]. Mais voilà, j’ai pensé que c’est le moment pour me rappeler que les gens sont rarement sciemment méchants, que je ne dois pas peupler mes journées de pensées pour les gens inféodés au capitalisme, que mon travail n’est pas un vil sacerdoce qui m’écrase mais aussi (surtout) un truc qui me nourrit et qui, dans l’ensemble, va dans le bon sens, et puis que j’ai des enfants chouettes bien que parfois fatigants (qui voudrait un petit monde parfait et ennuyeux ?) et un gentil chat qui lui aussi était sur le balcon, posé à côté de moi à se repaître de soleil et des odeurs qu’il sent mieux que moi.
Assez. Alors j’ai souri, d’abord au chat et puis à rien. J’ai regardé quelques beaux dessins, lu quelques lignes de L’égoïste romantique de Beigbeder déjà passé en haut de la pile de livres il y a, quoi, quinze ans déjà ? Quel sens de la formule dans ses fulgurances, c’est jouissif. Et donc voilà. Cyclothymique peut-être, on verra comment ça tient mais je décide que je lève le nez et que je regarde vers le haut.
Note liminaire : pourquoi ce titre, me demanderez-vous ? Parce que le pâté Hénaff est un peu comme la vie, à la fois très banal et très lié dans certains de mes souvenirs à des moments de fête ou de liberté (une falaise, un Opinel, un pain frais, un pâté Hénaff). Et puis parce que je fais ce calembour tout pourri depuis des siècles sans savoir où le mettre, alors je le pose là. (Pour qui ne parle pas anglais, Enough se prononce inaff et veut dire « assez ». C’était de circonstance, donc.)