Karoo, par Bézian (Delcourt)

Une bonne grosse claque graphique.

Il s’agit de l’adaptation d’un roman du même nom de Steve Tesich, et la bande promotionnelle qui entoure le livre dit : « Quand un artiste majeur de la bande dessinée rencontre l’un des romans les plus innovants de la littérature américaine… ».

Je ne connaissais pas le roman, ni le romancier ; merci Wikipédia.

Couverture de l’album : Karoo assis dans un fauteuil design des années 50

Saul Karoo est script doctor, ces personnes très prisées à Hollywood qui font des liftings aux films pour les repêcher, les rendre rentables quand le scénariste ou le réalisateur s’est planté quelque part. Karoo est un artiste, aux prises dans cette histoire avec un chef d’œuvre, le chant du cygne d’un maître du cinéma, qu’il doit malgré la perfection qu’il constate tout refaire. Il tombe amoureux d’une figurante, remanie le film pour qu’elle ait la place qu’elle mérite selon lui. En parallèle il s’inquiète du manque de ressemblance entre son fils et lui, persuadé (à tort ?) que lui et sa femme (dont il est séparé) l’ont adopté. Se croisent les questionnements sur l’art (à quel moment devient-il un commerce qu’on peut bricoler pour le rendre mieux adapté au succès ?), sur la filiation, sur l’amour, sur son alcoolisme ; le tout mis en image par des a prioris graphiques somptueux, des aplats noirs, blancs, des trames en réponse, avec une seule couleur elle aussi en aplat pour quelques pages, puis une autre, puis une autre encore.

Je pourrais en faire des tartines, évoquer Muñoz et Sampayo pour le traitement graphique (Le bar à Joe), Dave McKean pour la réflexion sur l’art et la façon d’aborder les dialogues (Cages), Bézian lui-même pour l’ambiance (cet abum est presque une continuation, dans l’ambiance, des Gardes-fous, déjà chez Delcourt il y a douze ans). C’est une symphonie d’expériences réussies, entre aplats marqués, comme je le disais, et des moments où l’auteur nous fait partager le désarroi du personnage, et alors les formes ne sont plus fermées, les traits se perdent et se mêlent – un jeu entre des planches pleines à la mise en page classique, à des séquences qui flottent, souvenirs suspendus ; et puis la fin — mais non, j’en ai déjà trop dit.

C’est un régal, avec ce qu’il faut de difficulté pour demander qu’on s’accroche au début, mais on ne le regrette pas. Bref, Frédéric Bézian est un esthète, et cet album est un chef d’œuvre, rien de moins.

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