Partir de Mastodon

Laisser les réseaux sociaux et agir ailleurs ? Récit d’un choix (pas le mien mais je comprends).

Mastodon, si vous ne le savez pas encore, est un réseau social adossé à une technologie appelée ActivityPub, elle-même un standard du W3C. En clair ça veut dire qu’il y a des milliers de serveurs, mais que depuis le serveur A vous pouvez suivre des gens du serveur B, qui elleux-mêmes vous font suivre des messages du serveur C, etc.

Il y a trois ans, une personne nommée Andros a décidé de quitter les réseaux sociaux — en l’occurrence Mastodon —et a publié un billet, qui n’existe plus en ligne mais qu’avec son accord j’ai voulu préserver.

Je vous le livre tel quel.

Je vais partir de Masto.
Je vais fermer mon compte, peut-être en rouvrir un vers janvier pour la bibli uniquement, avec une gestion collective. Je ne veux plus "être sur les réseaux sociaux".

J’ai vraiment l’impression tenace de ne pas pouvoir faire bouger les choses dans le monde non virtuel depuis les réseaux sociaux. Si peu de choses sortent de l’ordinateur, du smartphone, qui boit allègrement mon temps et mon énergie et ne me rend rien en retour qu’une dépendance désagréable et de bien trop brefs échanges sympathiques avec des gens non moins sympathiques. L’effet matériel produit par l’énergie que je déploie à apporter l’information et essayer de dialoguer, de réfléchir ensemble ne me semble pas à mon avantage : je m’épuise, je m’aigris, je deviens un avatar cynique et coupant de moi-même. Je ne tiens pas à vous infliger ça, personne n’y gagne rien. Je vais me retourner vers les dialogues à voix haute, les échanges de mails, la (diffusion de la) lecture. Ces choses au tempo plus lent, qui me correspondent mieux, avec lesquelles je sais composer, que je sais refuser aussi, et qui font naître, façonnent, détruisent, contredisent et animent des idées au lieu de simplement les partager plus ou moins passivement. Désolé, encore une fois c’est très acide, mais ce dialogue je ne l’ai que rarement trouvé sur Mastodon, j’y ai peu appris, j’y ai rencontré peu d’arguments qui m’ont fait changer, évoluer, remettre des choses en jeu, j’y ai campé sur mes positions, je me suis fossilisé sur ce que je savais ou pensais déjà. Et ça s’explique facilement : j’ai voulu y trouver une chose qui ne s’y trouve pas, j’ai voulu en produire un usage auquel il n’est pas destiné. Au final, ni vous, ni moi, ni personne n’ont gagné grand chose à mon passage ici, et j’en ressors dégoûté de moi-même et encore plus cynique face à l’outil d’organisation potentiel que sont les réseaux sociaux.

Comme tout départ, je laisse ici des souvenirs. Beaucoup sont agréables, d’autres ne le sont pas.
Je n’ai pas aimé devoir naviguer avec le conflit, car en si peu de caractères et si peu de temps, toute opposition devient conflit à moins d’y mettre vraiment du sien, je n’ai pas aimé, a posteriori, me sentir "validé" ou "invalidé" selon le nombre de petites étoiles ou de flèches que je recevais. Je n’ai pas aimé ne rien pouvoir faire pour des gens dans la merde, à part dire mon soutien ou envoyer des thunes (un des rares trucs qui passent bien la frontière virtuel-réel, tiens...). Je n’ai pas aimé me sentir concerné par tellement de choses que je n’ai rien fait. Je n’ai pas aimé allumer mon téléphone pour voir mon "score de popularité" dès le réveil.
J’ai aimé rencontrer des gens, apprendre beaucoup de choses sur la politique des technologies, sur des sujets précis comme les armes de la police, l’accessibilité du web ou la typographie, me sentir légitimé dans mon rôle de bibliothécaire, même amateur, dans mon genre et dans mes positions politiques. Merci aussi pour les recommandations de bouquins, les dons, les envois pour la bibli ! J’ai aimé avoir la possibilité de dialoguer en dehors, j’ai pu échanger sur des pads ou d’autres messageries, j’ai pu filer des trucs à des gens pas loin aussi. J’ai aimé participer à un super arpentage en ligne.

Pour conclure cette lettre que je m’écris surtout à moi même, je pense pas que beaucoup d’autres la liront, je voudrais juste souligner que ce n’est la faute de personne à part la mienne. Avoir cru que mon action sur les réseaux sociaux, même alternatifs, pourrait faire changer les choses, c’était faux. C’est peut-être un bon moyen de s’organiser, de faire de la propagande, d’attirer des gens, mais je crois que pour tout ce qui est de la construction à long terme ce n’est pas le lieu. Dommage, c’est ce qui m’intéresse. Je vais retourner zoner sur les blogs, les sites des revues et les livres. Peut-être écrire un peu plus. Pour ce qui est des réseaux sociaux, j’espère que d’autres y trouvent et trouveront leur compte, et que celleux qui en pâtissent trouveront la force de s’en extraire et de construire ensemble à côté des choses aussi gratifiantes qui leur ressemblent.

Bon vent virtuel à vous !

Andros

Je trouve qu’il y a beaucoup à réfléchir dans ce message, que je relis périodiquement. Bien plus en tout cas que dans la presse d’une façon générale, qui au mieux s’interroge sur la dimension sociologique, au pire (le plus souvent) parle d’argent à se faire (réseaux propriétaires) ou à perdre (réseaux libres).

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