Quand j’étais plus jeune, disons vingt ans de moins, je marchais tout le temps J’avais quarante-cinq minutes de bus pour aller à la fac, avec un gros zigzag, qui correspondaient à un peu plus d’une heure de marche à pied.
Alors je marchais, hiver comme été. C’était assez amusant d’ailleurs, en plein hiver arriver en t-shirt à la fac où tout le monde était pelotonné dans ses multiples couches ; j’avais eu le temps de me réchauffer : qui n’a jamais marché une heure dans 30 centimètres de neige le long des avenues engorgées ne peut pas le savoir.
Marcher sous la pluie, aussi : entendre crépiter les gouttes sur la capuche (plaisir que je viens de redécouvrir avec mes appareils auditifs qui amplifient tout ça), avoir le visage qui dégouline, sentir quelquefois un mince filet se glisser dans une manche et s’y résoudre, sachant qu’on n’est pas en sucre et qu’on se changera bientôt — et puis, profiter encore mieux du chocolat chaud au goûter quand par chance c’est un dimanche.
Il y a quelques jours, au détour d’un billet de Karl, je repense à tout ça.
« Pourquoi ? »
La question est un mélange d’incompréhension et de curiosité. Il y a le train, le bus, le taxi, la voiture, le tramway. Il existe toujours une raison pour raccourcir le trajet. Mais dans de nombreuses occasions, je préfère marcher.
En région parisienne évidemment il est inconcevable de marcher, les distances sont trop grandes. Pourtant, de temps en temps je me débrouille pour être en avance à un rendez-vous, ou pour m’aménager un temps sans obligations (le travail à temps partiel aide bien), et je marche, perdu quelques heures dans la grande ville, perdu sans inquiétude, perdu et ravi.
La contemplation, la méditation, ne sont pas des états liés uniquement à la position du lotus ou que sais-je encore. Marcher, sortir de soi et de ses ennuis. Par moments je réalise dans ces parenthèses que pendant une ou deux minutes je suis pleinement et complètement heureux. Libre et heureux.