La « personne porteuse d’un handicap » existe-t-elle ?

C’est une expression qui apparaît de temps en temps au détour d’une discussion. Justement, discutons-en.

Il y a quelques semaines mon camarade Denis Chêne [1] redonnait une définition des trois concepts importants quand on parle de handicap :

  • La déficience c’est l’atteinte, la maladie, la lésion.
  • L’incapacité à faire, c’est l’aspect fonctionnel du handicap, mais qui peut aussi ne pas poser problème dans certains contextes (une personne atteinte d’une lésion des jambes, une fois installée, peut très bien jouer aux cartes).
  • Le handicap c’est le fait d’être dans une situation bloquante alors que les autres y ont accès. C’est la situation de handicap qui est issue de la rencontre entre la déficience et une situation de la vie courante. (si les autres jouent aux cartes et que la personne ne peut placer son fauteuil sous la table alors elle est en situation de handicap).

Une fois ceci posé, réjouissons-nous de l’évolution de la langue à travers les âges :

  • On était autrefois infirme : d’après le latin infirmus (« faible, physiquement ou moralement ») de l’ancien français enferm « malade, faible » (comparez avec l’espagnol enfermo, « régulièrement » dérivé du latin infirmus tout comme enferme) (Wiktionnaire : infirme). C’était intrinsèque à la personne. On notera la notion de maladie, de faiblesse.
  • On était aussi invalide, soit, au premier sens (militaire) rendu par l’âge ou les blessures incapable de continuer le service militaire, et au deuxième sens (en droit) atteint dans sa santé, au point de ne plus pouvoir exercer une activité normale. On se rapproche d’une acception moderne avec ce deuxième sens, même si la définition est encore liée à l’aspect médical.
  • Ensuite l’individu a été handicapé, de l’anglais hand in cap (« la main dans la casquette »), moyen de réduire la capacité d’une personne très douée pour se remettre au niveau : le terme a été utilisé pour toute action visant à rendre plus équitable une confrontation, ce qui conduira à employer l’expression « être handicapé » en parlant des participants désavantagés au départ d’une course. (Wiktionnaire : handicap). On note en passant la notion de désavantage [2].
  • Puis dans les années 90 (je crois [3]), on est passé à une personne handicapée. On avance : la notion de « personne » éclôt et on commence à percevoir que la personne n’est pas définie par son handicap. Elle est un tout, dont le handicap fait partie.
  • Enfin, commence à se répandre depuis une ou deux décennies (je crois [4]) le terme de personne en situation de handicap, et là nous rejoignons la définition que nous donnait Denis au début de cet article.

Mais bon, « personne en situation de handicap » c’est long, je suppose. Ou alors (soyons charitables) on se rappelle vaguement qu’il y a une expression qui commence par « personne » et qui finit par « handicap ». Alors plein de bonne volonté, on tente : « personne porteuse d’un handicap ». C’est méritoire d’essayer mais non, s’il vous plaît, non.

C’est vrai que c’est souvent un fardeau qu’on porte, ça d’accord. Mais on n’est pas « porteur », là encore un petit coup d’œil au Wiktionnaire : Qualifie un malade qui porte en lui les germes d’une maladie. — ah oui quand même. Franchement, évitez l’expression et reprenez vos interlocuteurices s’il vous plaît. On n’est pas malade du handicap comme les animaux de la peste. C’est vrai qu’on a été longtemps un peu pestiférés ; allez savoir, il s’agissait peut-être d’une punition divine (c’est pratique, la culpabilité chrétienne, mais je m’égare [5]). En tout cas c’était bien honteux, encore pendant mon enfance dans les années 70.

On ne dit pas « personne porteuse d’un handicap », pour les raisons évoquées ci-dessus. Le handicap n’est pas intrinsèque.

  • Mes oreilles déficientes sont certes dans l’incapacité désormais de percevoir un certain nombre de sons sans effort [6], mais ne me handicapent pas pour taper vite sur mon clavier, pour faire du vélo, du théâtre, le guignol.
  • Mes yeux déficients m’empêchent certes d’envisager une carrière de jongleur chez Medrano, j’en serais incapable, mais ne me handicapent pas quand il s’agit de poser mes mains là où c’est bon de les poser, ni de goûter une bonne chose à manger ou à boire.

Ah oui, parce qu’on ne vous a pas dit : le handicap, la déficience, tout ça, hé bien ça n’empêche pas d’être vivant et en bonne santé.

Demain si vous êtes sages nous parlerons du « langage des signes ».

Notes

[1Denis : fringant ergonome qui travaille sur le handicap et le Design for All depuis au moins deux décennies.

[2Désavantage qu’on rétablit dans une Mission Handicap en finançant une « compensation des conséquences du handicap » comme on dit chez nous.

[3Quand je dis « je crois », ça veut dire que je n’ai pas trouvé de source précise, que j’écris cet article au petit matin et que c’est déjà pas mal d’être cohérent avant 8 heures du matin si tu me connais.

[4Voir note précédente, voilà voilà.

[5Je pourrais en causer un bon moment à l’heure de l’apéro.

[6Et même avec un effort, ne nous leurrons pas : j’entends de moins en moins, mes oreilles ont au moins vingt ans d’avance sur le reste de mon corps, question vieillissement.

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