Je m’étais promis de ne plus parler politique ici, c’est pisser dans un violon ; mais non, de temps en temps il faut bien que ça sorte encore et encore.
Jean-Michel Blanquer, outré à mort par l’entrée du mot « iel » dans le dictionnaire. Le même qui ne dépense pas tous ses budgets alors que l’école est exsangue trouve à redire à un travail de lexicographie. (Oui, l’école est exsangue [1].) Permettez-moi de citer longuement l’article d’Affordance paru hier.
Souvenez-vous qu’alors même que des visages éborgnés, défigurés de manifestants s’étalaient à la Une de tous les journaux, on trouvait en Macronie un ministre de l’intérieur qui ne reconnaissait rien d’autre que quelques "atteintes graves à la vision."
Souvenez-vous qu’alors même que des violences policières inédites dans leur nombre comme dans leur ampleur étaient depuis de longs mois documentées par le travail aussi vital que patient de David Dufresne, c’est le président de la république lui-même qui osait son désormais célèbre "Ne parlez pas de "répression" ou de "violences policières", ces mots sont inacceptables dans un État de droit."
Souvenez-vous que le premier 1er ministre d’Emmanuel Macron, Edouard Philippe et sa majorité, osaient baptiser du nom de "Bienvenue en France" un programme visant à multiplier par 16 les frais d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers.
Souvenez-vous qu’après le passage à tabac de Michel Zeckler par des policiers en roue libre, le ministre de l’intérieur Darmanin parlait de policiers qui avaient "déconné".
Souvenez-vous du premier des ministres de l’intérieur de la macronie, Gérard Collomb qui parlait "d’éloignement" pour ne plus dire "expulsions".
Souvenez-vous de toute cela et de tant d’autres choses encore. Et regardez le vrai danger. Celui qui conduit le ministre de l’éducation nationale du pays des lumières (basse consommation) à s’attaquer à un dictionnaire.
Parce que c’est cela le vrai danger : à force de nier le réel dans la langue, à force de contraindre la langue à dénier le réel, on en vient naturellement à attaquer des dictionnaires et ceux qui les font. Et quand on s’attaque à un mot non pour ce qu’il dit mais simplement parce qu’il existe, quand on traite les lexicographes d’idéologues lorsqu’ils ne documentent rien d’autre que des usages de la langue, alors on porte une responsabilité immense et mortifère dans l’avènement ce qui est et fut toujours, toujours, le premier ressort de tous les totalitarismes : nier aux mots le droit d’exister pour ce qu’ils sont.
Que François Jolivet dise que c’est un précurseur de l’idéologie « Woke », destructrice des valeurs qui sont les nôtres
, et sachant que cette croisade contre le « woke » (fantôme commodément protéiforme et impalpable) est le fait dès l’origine de l’ultra-droite réactionnaire [2], repris par les Zemmour et autres démocrates-à-dents-pointues [3], croisade maintenant agitée comme le énième épouvantail d’une macronie en mal d’étendards, « les valeurs qui sont les nôtres » ne sont pas forcément les valeurs républicaines. Personnellement, « prendre conscience » (origine du “woke” qu’on nous ressert à toutes les sauces) de toutes les violences, dominations, afin de vivre dans un société plus égalitaire et respectueuse, me semble au contraire une démarche tout à fait républicaine et donc conforme à nos valeurs.
Comme toujours, faute de pouvoir proposer un débat de fond, avec des nuances parce que le monde n’est pas binaire, il vaut mieux agiter des chiffons rouges. Je pensais qu’avec le débat sur l’identité nationale Sarkozy avait touché le fond de l’invention pour occuper les esprits, mais la macronie et ses avatars qui dépassent même Marine Le Pen font dans le petit chiffon rouge pour bien occuper toute la parole médiatique.
Pendant ce temps, des étudiants crèvent la dalle et sont contraints d’abandonner leurs études (c’est bien : moins d’intellectuels c’est, à terme, moins de contestation argumentée). Pendant ce temps, la COP26 est un échec retentissant, comme chaque fois, chacun étant venu avec son jet privé pour bien montrer par ses actes que le futur de l’humanité, franchement ?, rien à foutre. Pendant ce temps, les migrants [4] vont continuer à se cailler les miches sans aide, sans même qu’on prenne conscience qu’ils ne sont que les premiers de vagues de plus en plus énormes de réfugiés. Pendant ce temps, l’Europe construit des murs, comme si on pouvait avec de petites digues retenir un cataclysme. Tenez, peut-être même que les mains et les yeux des gilets jaunes vont fort probablement repousser au printemps.
Et le nivellement par le bas qui fait office de réflexion politique dans la classe dominante depuis un temps qui n’en finit pas de s’allonger va continuer, et les élections de 2022 s’annoncent encore plus affligeantes que celles de 2017, et comme disait je ne sais plus qui, nous sommes au bord du précipice, préparons-nous à faire un grand bond en avant.