On connaît tous ces phrases toutes faites qui disent en substance que ce sont nos actions qui nous définissent, mais c’est plus compliqué que ça. C’est aussi notre inaction qui nous définit.
Ces derniers mois, j’ai été assez oisif, et ça me permet de prendre conscience de pas mal de choses qu’on laisse courir habituellement, trop occupés à courir (justement) pour les regarder en face.
Je lis la tristesse et la honte de Stephanie et une petite voix me susurre qu’on est tous tristes et honteux de plusieurs choses de notre vie, mais ce serait trop long que je vous en parle ici et maintenant. Sainement, elle en fait quelque chose : elle en parle publiquement et raffermit peut-être du même coup des amitiés (je l’espère pour elle, qui est quelqu’un de formidable).
Je n’ai pas écrit mon livre à quarante ans, par exemple.
J’ai fait cinq petits articles sur Open ears histoire de croire que je fais partie d’une communauté, que je ne suis pas que de celle qui fait les sites web, histoire de me la péter un peu (« regardez, je blogge en anglais ») alors que sans Stephanie pour la relecture ça serait évidemment plus maladroit.
Je relis La fille au crâne rasé et me dis que depuis le temps, un de ces jours moi aussi je vais tondre tout ça, l’été aidant.
Je veux depuis longtemps faire un article « Les gens qui comptent » pour parler de tous ces gens que je devrais remercier, mais il serait trop long, forcément incomplet, et maladroit. Alors je ne le fais pas.
Aujourd’hui je fais mon testament numérique, on s’est arrangés avec Matthias parce que c’est quand même un peu technique, tout ça. (Au passage, je reste admiratif de sa frénésie [1], moi qui suis souvent resté passif devant l’existence.)
Pendant que j’y suis : The Right to Grieve — And That Means Being Sad
Sadness is not depression. Unprocessed grief can lead to depression, though.
Sadness is the feeling of loss.
Traduction approximative pour le seul lecteur / la seule lectrice qui ne doit pas parler anglais :
La tristesse n’est pas la dépression. Une douleur non digérée peut entraîner la dépression, cependant.
Ressentir de la tristesse, c’est ressentir la perte.
Je redécouvre Sinéad O’Connor, que j’avais laissée dans un coin de ma discothèque, et qui me transporte à nouveau. Pareil pour Tori Amos.
Je récupère mes lectures en retard. Triste, ému, et admiratif à la fois de la beauté qui sort de chez Karl ou Grosse Fatigue, comme souvent ces quinze dernières années.
Je cours après mes années de jeunesse par des petits détails que je suis le seul à voir ; l’important est évidemment de s’apercevoir de ce qu’on fait et de ne pas se laisser aveugler. L’important reste le présent, ceux qui ont besoin de nous, ceux dont nous avons besoin.
J’ai repris un crayon hier, dessiné et déploré aussitôt. Mais ce n’est pas grave, il faut « vivre heureux en attendant la mort, » comme disait si justement Pierre Desproges.
Je ne fais rien mais en même temps pas complètement rien : je lis beaucoup, je fais du repassage, je revois des DVD en version commentée, j’écoute la beauté du monde. Je pourrais même dire que j’ai décidé de publier un article par semaine, j’aurais sans doute même de la matière pour plusieurs mois, mais j’en ai fini de ces engagements qu’on se mortifie de ne pas tenir.
Tu vois la dernière scène d’American Beauty ? À la question « Vous allez bien ? », le personnage de Kevin Spacey répond « Je crois que je vais bien. »
Hé bien voilà, pas de panique si tu me lis en diagonale, patient lecteur : je crois que je vais bien.