L’état politique en France et les violences policières

Sur Mastodon, Jérémie Zimmerman donne une analyse de l’état politique en France. C’était en anglais, voilà maintenant la version française.

Texte publié sur Mastodon le 21 et 23 mars 2023, traduit et reproduit avec l’accord de l’auteur, qu’il soit ici remercié pour sa gentillesse autant que pour sa clairvoyance et son esprit de synthèse. Il s’agit d’expliquer à des amis de l’étranger ce qui se passe, mais je pense que ça ne fait pas de mal de lire une réflexion structurée sur le sujet (et généralement sur ce site vous lisez des choses plus légères ; il se peut fort que vous ne lisiez pas la presse engagée, alors faites-moi confiance et lisez cet article aussi s’il vous plaît).


(Début de citation.)

Un de mes amis vient de me demander : « C’est quoi le 49.3 ? », et malgré la couverture par la presse internationale de la crise politique en cours en France, j’ai senti le besoin de partager ici ma propre vision, au cas où vous vous posiez aussi la question.

Tout part de la psychopathologie du pouvoir. Un jeune président, au commencement de son dernier mandat, qui a réussi jusqu’ici à imposer ses idées néo-libérales face à l’opinion publique, au travers d’un certain nombre de mensonges et de manœuvres politiques intelligentes.

Il veut que cette réforme des retraites, sa réforme des retraites, soit adoptée, c’est une affaire personnelle ; et ça satisfera aussi la droite traditionnelle du Parlement, sans qui il ne peut obtenir aucune majorité sur rien.

Malgré des mensonges évidents du gouvernement qui ont été démontrés collectivement, en ligne et dans la presse, la réforme des retraites a été abondamment analysée et son contenu est maintenant clair pour tout le monde :

  • 43 ans de travail et un minimum d’âge de 64 ans avant d’avoir le droit à une pension de retraite complète.
  • La réforme touchera plus durement les femmes, les personnes qui ont commencé à travailler tôt et les personnes qui n’auront pas eu une « carrière complète » (ce qui est fondamentalement le cas pour ma génération et celles qui suivent, parmi les plus précaires).

La réforme prévoit de récupérer 17 milliards d’Euros du système de retraite, pour les redistribuer dans le budget général de l’État. Ô ironie, 16 milliards, c’est environ le montant de réduction des taxes que le gouvernement vient d’offrir aux grandes entreprises (sous forme de prélèvements réduits). Cela fait aussi penser aux 80 milliards qu’on estime liés aux différentes réductions d’impôts, aux 80 milliards estimés de fraude fiscale, aux 200 milliards donnés aux entreprises pendant le Covid, etc. Tout ça à un moment où les gens souffrent économiquement et sont de plus en plus pauvres (les 40 plus grandes compagnies françaises ont engrangé 140 milliards de bénéfices cette année).

Nous voilà donc avec un gouvernement mentant ouvertement sur la réforme du Président : Elle sera « sociale », « juste » et « équilibrée », elle « aidera les femmes », permettra que « chaque retraité ait 1200€ de retraite », c’est « une réforme de gauche », pour « sauver le système de retraite qui courait inévitablement à son effondrement » (toutes ces affirmations ont réellement été prononcées !), alors que la vérité, c’est qu’on prend de l’argent des plus pauvres tandis qu’on redistribue massivement aux plus riches. Et qu’on ment encore et encore pour la défendre.

L’aspect le plus « amusant » s’il en est un : l’analyse par l’administration elle-même chargée des retraites (le Conseil d’Orientation des Retraites) montre que dans 3 scénarios sur 4, rien de tout cela ne sera nécessaire. Les finances du système de retraite sont équilibrées, les montants dont nous parlons sont marginaux par rapport au coût total.

Si jamais l’argent venait à manquer, ce ne serait pas avant 2030. Et il y aurait de nombreux moyens de le récupérer : taxer les riches, augmenter les cotisations à proportion de la taille des entreprises, faire payer plus les gens qui touchent plus, etc.

Pour la première fois de l’histoire, toutes les organisation syndicales en France sont d’accord entre elles et s’opposent à la loi sur les retraites, et de toute façon le gouvernement a refusé toute négociation.

Les syndicats ont appelé à des manifestations depuis des mois, réclamant le retrait pur et simple du texte, rassemblant le plus grand nombre de manifestant·es en France depuis plus de trente ans (même selon la police !). Plus de 3 millions de personnes dans les rues, parfois dans plus de 300 villes à la fois.

Les sondages montrent un rejet de 70 % de la population, et 90 % parmi les travailleurs et travailleuses.

Un mouvement massivement décentralisé où les grèves ont démarré dans les secteurs stratégiques (raffineries de pétrole et de gaz, transports, énergie, ramassage des poubelles, etc.). Dans un contexte héroïque où faire grève coûte cher et où les gens peinaient déjà.

Certains membres de la majorité de Macron, certains ministres et conseillers, ont voulu dire que la méthode n’était pas bonne, qu’on allait à l’affrontement. Cependant Macron lui-même l’a décidé. « Elle. Passera. De. Toute. Façon. » (Tous les empereurs se sentaient et paraissaient invincibles… jusqu’à leur défaite…)

Afin de forcer un passage rapide de la loi, le gouvernement a utilisé :

  • un article exceptionnel de la Constitution, le 47.1, pour limiter le temps de débat parlementaire (normalement utilisé pour les cas d’urgence budgétaires) : le texte entier n’a même pas pu être voté dans son ensemble par la première chambre du Parlement (l’Assemblée Nationale) ;
  • l’article 38 du règlement du Sénat, jamais utilisé jusque-là, pour limiter le temps d’étude du Sénat ;
  • un article assez exotique, le 44.3, permettant de « bloquer le vote » (seulement sur les articles de la loi, pas sur les amendements) ;
  • et enfin le coup de grâce : l’article 49.3 permettant au gouvernement d’adopter la loi en contournant l’obligation de vote par la première chambre (où le texte final doit normalement revenir pour un vote final).

Le gouvernement a paniqué comme s’il avait là perdu sa majorité, étant donné que même au Sénat (pourtant hyper conservateur), quelques votes de la droite, du centre et de la clique présidentielle venaient à manquer… ils ont littéralement eu peur du vote de la représentation nationale.

Pas. De. Vote.

L’effet combiné de tout ça est catastrophique : non seulement la loi a perdu toute once de légitimité démocratique à cause de ce passage en force, mais le peuple, uni contre ce texte, est solidaire des protestations et est de plus en plus en colère. (« El pueblo unido jamas sera vincido », comme on dit en français…)

Jeudi dernier (le 16 mars 2023), il était clair que le gouvernement allait utiliser le 49.3 pour contourner le vote du Parlement. Il a été utilisé le lendemain et a provoqué une indignation unanime. Même des observateurices conservateurices, centristes ou plus généralement bourgeois·es ont exprimé leur colère envers cette méthode (a minima), et envers l’arrogance d’un gouvernement isolé et acculé.

(Voyez sur Invidious ce commentaire fascinant d’un homme dans la fleur de l’âge « qui gagne bien sa vie » et qui soutient les protestations et la colère.)

Depuis lors, le gouvernement a augmenté le niveau de répression policière : les manifestations qui étaient déjà prévues sont interdites ; les manifestions spontanées sont sévèrement réprimées ; à des centaines de mètres des manifestations des gens sont encerclés et arrêtés pour 24 heures.

(Avoir sur soi des lunettes de piscine et/ou des masques respiratoires dans un contexte où les gaz lacrymogènes sont utilisés couramment peut vous faire arrêter pour « possession d’armes » ou « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ».)

Des policiers violents montés sur des motos matraquant à la ronde, des journalistes poussés et frappés, des gens traînés sur le sol et battus, des gaz lacrymogènes partout, c’est devenu la routine.

Et pourtant le peuple en colère continue de manifester !

Tandis que des tas d’ordures s’accumulent dans les rues depuis plus d’une semaine (vous vous rappelez de la grève des éboueurs ?), ils sont renversés au milieu des rues, parfois enflammés, pour ralentir la progression de la police et augmenter sa confusion.

Nous en sommes là : des manifestations chaque jour dans des dizaines de villes, durant parfois tard dans la nuit, des feux partout, et une police complètement dépassée et perdue. Des grèves longues dans les transports, l’énergie, les ordures. Des blocus dans les centres logistiques et névralgiques de notre infrastructure.

Macron pourrait à n’importe quel moment arrêter tout ça, retirer sa loi et dire « Je vous ai entendus. ». Au lieu de ça, il est absent, dans un bunker, et il regarde le pays brûler en direct, baignant dans sa sueur. Quel gâchis.

Le pari de Macron est clairement que :

  1. les gens courageux qui font la grève pour un prix personnel exorbitant, et plus généralement le blocage des infrastructures, vont s’essouffler ;
  2. la répression policière va contribuer à cet objectif, à terroriser les dissident·es, à mutiler les opposant·es politiques, à décourager leur soutien ;
  3. les médias à la solde du pouvoir vont ouvrir une « nouvelle séquence » d’exagération de « l’horrible violence anti-démocratique de gens qui mettent le feu dans la rue et bloquent le pays » pour éroder le soutien de la population générale.

On appelle ça un pourrissement.

Ce type que le monde entier voyait jusqu’à récemment comme un champion charismatique, un jeune prince du néo-libéralisme, avec son beau sourire de banquier qui pouvait vous vendre n’importe quoi… se comporte comme un empereur délirant, acculé et pyromane à la fin de son règne.

9 votes ont manqué hier pour faire déposer le gouvernement, mais dans les faits il n’est déjà plus là.

C’est une telle crise politique. Wow. Much amaze.

Solidarité avec tous les grévistes, les manifestant·es, et celleux qui les soutiennent.

Mise à jour du 23/03/2023 : Macron a pris la parole publiquement pour la première fois depuis des semaines. Dans une interview complaisante et surréaliste, il s’est vanté de l’adoption de la loi, a annoncé avec arrogance vouloir aller de l’avant, tout en tentant de diviser la population en la dressant contre les personnes en colère qui cassent du matériel. Les infrastructures grévistes vont être réquisitionnées. La force sera utilisée pour restaurer l’ordre.

Sur les violences policières, voyez aussi cette compilation très choquante (montée avec des déclarations cyniques de leurs instigateurs au gouvernement…). Attention, vous êtes prévenu⋅es : c’est très violent.

(Fin de citation.)


Je suis fils de flic, j’ai grandi dans cet environnement, où nous allions faire le réveillon de nouvel an au commissariat pour s’embrasser à minuit, où on leur souriait, où on passait les saluer au commissariat quand on allait en ville. J’ai même plaisanté souvent avec eux en manifestation, parce que je savais que leur vie n’était pas facile, pour la voir à la maison, et qu’on ne choisit pas toujours son métier (c’était après la crise des années 70). Maintenant j’ai peur de la police, je réfute ce gouvernement et ce président qui se réclament de la démocratie tout en la piétinant, et j’ai honte pour eux de ce que devient mon pays. Et encore merci Jérémie pour cette synthèse.

Commentaires

  • fipaddict (27 mars 2023)

    Salut,

    Merci à toi de donner de la visibilité aux propos de Jérémie Zimmerman. C’est important que ces/ses propos bénéficient de supports multiples et pérennes.

    Fipaddict.

    Répondre à fipaddict

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