Il y a eu douze ans en mars que Nuala est entrée dans ma vie.
(Mise à jour : ma mère m’a appris il y a quelques jours qu’en fait elle n’avait que dix ans ; elle était née en 1997. Freudisme à deux balles : je ne pouvais pas imaginer qu’elle était si jeune, je devais l’oublier pour ne pas voir combien sa vie a été courte.)
Une petite chienne noire avec une petite voix qui couine, grosse comme une tête de Labrador.
Elle a pris une grande place dans ma vie, puisque justement c’était un Labrador, et qu’au quotidien ça demande de faire une heure de balade pour épuiser un peu l’énergie débordante des chiens à forte croissance.
Ce qui est étonnant avec cette variété, c’est leur besoin d’être toujours tellement près de vous qu’ils peuvent se faire tout petits, même avec leurs quarante kilos. Tout plutôt que d’être loin de vous. C’est de l’amour sur pattes.
Et puis la vie a fait que j’ai dû quitter la maison où je l’ai élevée, et je devais m’en défaire, premier déchirement. Mes parents, grandes âmes, l’ont prise en charge alors qu’elle avait quatre ans, même si ça ne les arrangeait pas [1].
Je pouvais donc encore la voir, les trop rares fois où je « rentre à la maison. » [2]
Nuala a vieilli, bien tranquille dans une grande maison. Et elle continuait à m’accueillir comme personne d’autre de la famille, ce que je prenais pour l’affection particulière qu’on a pour son maître et qu’elle n’oubliait pas, malgré mon « abandon ».
Elle a commencé, comme tous les vivants, à perdre un peu la vue, à moins bien entendre... et puis à avoir des complications médicales, un espèce de kyste dans la narine, à un endroit qu’on ne peut soigner qu’en ouvrant le crâne. Mes parents ont décidé de la laisser comme ça. Douze ans pour un Labrador, c’est assez vieux. Ce n’est pas le moment de lui infliger un cursus chirurgical laborieux et interminable.
Dans la nuit de vendredi à samedi elle a fait une grosse hémorragie, et samedi matin mes parents l’ont emmenée chez le vétérinaire pour mettre un terme à l’inévitable. Ils l’avaient tellement adoptée qu’au téléphone ils étaient sans doute plus tristes que moi.
Faute de m’être préparé à l’idée, je suis presque resté sans émotion sur le moment. C’est alors que ma petite fille de trois ans me dit Je suis triste et Papa est triste parce que Nuala est morte, on ne la reverra plus jamais
. Là il faut prendre sur soi, parce qu’elle est moins triste qu’elle ne le dit, mais d’un seul coup une bouffée d’émotion vous emporte, et ce n’est pas facile de ne pas pleurer.
Hier après-midi, en passant au centre commercial, nous nous sommes arrêtés à l’animalerie, les petits adorent. Il y avait deux Labradors de quatre mois. Je n’ai pas pu rester devant leur box.
J’avais coutume de dire qu’à la maison il y a toujours eu des chiens depuis la naissance de mon frère. Ce n’est plus vrai, Nuala était la dernière. Fin d’une histoire.