Il y avait un mec qui se faisait appeler Pierre Lazuly. Parce qu’il aimait Vian, et parce qu’il savait déjà, quand le Web balbutiait, qu’ici comme ailleurs on irait chercher des crosses aux gens à un moment ou à un autre. Alors il avait pris un nom de plume, pour écrire en liberté sans qu’on puisse dire qui il était, où il habitait, pour qui il travaillait. Il n’avait pas besoin de prendre les précautions qui sont devenues courantes, comme quoi les propos ici tenus n’engagent pas mon employeur, et ceci-celà.
Et quelle plume ! Je lisais tout, je commentais de temps en temps – par mail, il se protégeait du bruit des commentaires sur son site, alors que c’était un SPIP, ce machin bizarre que personne ne connaissait, que peu de gens connaissent aujourd’hui.
J’ai su après qu’il avait contribué à le créer, qu’il faisait partie de cette bande qui avait enfanté uZine. Le nom même de SPIP, tiens…
Mais Pierre passe ses vacances sur un bateau baptisé « SPIP » ; et comme « SPIP » est l’acronyme de « Système de Publication pour l’Internet », cela suffit à lancer le projet : on a le titre, le reste devrait être facile...
Je lui écrivais, donc, de temps en temps, pour dire merci pour telle idée, tel article.
Je les regardais, tous, de loin, monter le portail des Copains (encore du SPIP caché dessous). J’admirais la conviction, la défense de la liberté, je bondissais des Chroniques du Menteur à L’Ornitho, du Scarabée à Guillermito, des Ours à Vakooler ; je découvrais trop tard la Rafale de Davduf, je relisais en boucle les vieux articles du minirézo (ce site de fou qui expliquait ce que font les cookies à notre vie privée et faisait briller les yeux des vampires au survol à la souris), je signais le Manifeste du Web indépendant, j’arborais la mitraillette sur mon site, un SPIP depuis fin 2001 ou début 2002. Et non, ce dernier paragraphe ne respecte pas l’ordre d’apparition à l’image, mais on s’en fout, le temps a passé et seuls les vieux s’étayent mutuellement de leurs réminiscences.
On y croyait, au Web libertaire, à l’espace de démocratie, au non-marchand. Pierre Lazuly n’était pas pour rien dans cette dynamique, lui qui prenait le temps d’écrire, de penser, de partager.
Je ne connais pas son vrai nom, ni son adresse. Si vous me lisez, embrassez ses proches et surtout, dites-leur qu’il est une inspiration. Il n’a pas écrit sur les Chroniques depuis 2005 et j’ai continué, tous les ans, à en parler depuis.
Le Web francophone, le Web indépendant, nous sommes en deuil, mais la plupart des gens ne le sauront sans doute même pas. C’est triste mais c’est comme ça.
Merci, Monsieur Pierre Lazuly. Je t’embrasse respectueusement.
Il y a les traversées du désert, où huit heures sont nécessaires à votre travail alimentaire. Et il y a les périodes où, ravigoté, vous menez une existence passionnée. Où les activités s’enchaînent sans discontinuer, alors que les nuits ne servent même plus à se reposer.