Moins de code, plus de message...
Il y a quelques années, quand je suis arrivé dans le milieu du développement web, j’envoyais et je recevais peu de mails. La majorité de mon temps était consacrée à monter des sites web : autrement dit, à maîtriser plusieurs langages simultanément.
Je savais (et je sais encore, du moins espérons-le) jouer couramment avec les règles de syntaxe de HTML, de CSS, de Javascript, de PHP. C’est d’autant plus amusant qu’un tableau, par exemple, ne se déclare pas et ne s’écrit pas de la même manière en PHP et en Javascript.
Pendant tout ce temps j’ai rencontré de plus en plus de gens très formalistes, exigeants avec leur code comme un peintre avec les transparences de son sfumato : indenter avec une tabulation ou 4 caractères, mettre des guillemets doubles autour des attributs de HTML, mettre des point-virgules à la fin de chaque instruction Javascript, etc. Tout un tas de règles qui ne sont pas réellement obligatoires, mais qui permettent à la longue de mieux travailler : les guillemets, c’est bon pour les interpréteurs basés sur XML ; les point-virgules, c’est génial quand on doit minifier son code et le faire tenir sur une ligne ; et ainsi de suite.
Dans le même temps mon volume de communication écrite, hors du code, a crû énormément. J’envoie et je reçois des tonnes de mails, je produis des documents techniques prescriptifs de 40 pages, et les gens avec qui je travaille font tous pareil.
Ce qui me frappe de plus en plus, c’est la piètre qualité des contenus que je reçois, qu’ils soient dans un mail ou dans un rapport.
Bien sûr il y a l’aspect oral qui joue, et l’héritage de l’IRC et des messageries instantanées. Telle technologie, "sapu". Quatre lettres presque jargonneuses, et on sait ce qu’on veut dire sans se fatiguer.
Bien sûr il y a l’écriture SMS qui joue aussi. On a "ts des rdv cet apm". Là encore on gagne en immédiateté, la plupart du temps en restant intelligible.
Pour autant, je lisais à l’instant The Importance of Writing Well et ça m’a rappelé qu’à la fac, on ne parlait que de compétence langagière.
Langue naturelle et langages informatiques sont deux choses différentes
Aujourd’hui où la plupart de ce qu’on sait faire doit rentrer dans une case ou une autre d’un référentiel de compétences, le mot a son importance. J’ai en ce moment dans mon service une apprentie qui se destine à un diplôme de niveau Bac+5, et je lui expliquais que son métier deviendra vite celui du management, du reporting, bref de tous les mots en anglais qui veulent dire qu’on gère. Du coup, j’insiste énormément pour qu’elle fasse porter une partie non négligeable de son effort d’apprentissage sur le français.
Non content d’exiger d’elle [1] du Javascript objet, de la rigueur dans les tests, une approche du travail d’équipe, une capacité organisationnelle, ma liste de courses dépasse les compétences strictement techniques. Il ne faut pas de fautes, il faut utiliser la ponctuation à bon escient, il faut relire et revoir ses phrases jusqu’à les rendre fluides et intelligibles.
J’avais une prof à la fac, en littérature anglaise, qui nous a donné ce conseil inestimable : il faut chaque jour écrire au moins un paragraphe. C’est, comme dans toutes les disciplines, l’entraînement qui améliorera la qualité.
Pour moi, la langue est l’emballage du produit technique, quel qu’il soit [2]. Un développeur qui parle mal, qui écrit mal, alors qu’il peut avoir une telle exigence technique, me refroidit et montre trop vite à mon sens ses limites.
Bien sûr (et heureusement) on rencontre tous de temps en temps des développeurs tellement brillants qu’ils peuvent faire toutes les fautes du monde : on laisse passer parce que le reste de leur travail est astucieux, rapide, magnifique. J’en connais quelques-uns. Mais pour le commun des mortels (vous et moi [3]), nous sommes interchangeables avec une infinité de gens aussi doués que nous, souvent plus. Sans compter qu’en vieillissant (ça vient vite, si si), on perd la souplesse technique, celle-là même qui nous permettait d’être opérationnel rapidement sur des sujets qu’on ne connaissait pas la veille. Au final il n’y a pas de scoop : il vaut mieux diversifier ses points forts.
Chaque jour écrire un paragraphe. C’est pourtant simple, dit comme ça, non ? À vous maintenant de trouver le moyen de le faire. Vous n’avez même pas besoin de "faire œuvre" publiquement : ce peut être un journal intime, même sur votre ordinateur (bonus : vous allez apprendre quelles sont vos fautes d’orthographe les plus fréquentes !) ; ce peut être de la poésie, des embryons d’histoires jamais achevés. Peu importe pourvu que vous écriviez.
N’est pas Desproges qui veut
Où apprendre à bien écrire, et surtout comment ? Sincèrement, je ne sais pas très bien répondre à cette question. Ce que je sais en revanche, c’est que de la même manière qu’on apprend des notions techniques par osmose, je suis persuadé qu’on améliore la qualité de son français par la lecture.
Pour ma part, Pierre Desproges me tire vers le haut depuis des années. On a beau savoir qu’on n’arrivera jamais à ce niveau, il est toujours bon de courir après des modèles.
À défaut de lâcher votre chaise à roulettes pour glaner des lectures à la librairie du coin [4], ces jours-ci je me régale de la prose en ligne, au hasard, de deux joyeuses personnes : Mitternacht est pétillante à souhait, Kozlika a une belle langue (qui a dit "Prouve-le : photo ?").
Un copain me disait récemment que lui a bien lu des tas de livres, mais que son français ne s’améliore pas. Et vous savez quoi ? Il sait même pourquoi : ça ne l’intéresse purement et simplement pas. Mais il fait partie de ces gens brillants dont je parlais plus haut, il peut se le permettre.
La compétence langagière est une compétence, puisqu’on vous le dit
Dans ce monde compétitif, la maîtrise de la langue (voire de deux ou trois), la compétence langagière [5] est une compétence, et en tant que telle, un facteur de différenciation. Par cette compétence nous pourrons montrer notre capacité d’adaptation aux évolutions possible de notre carrière : management (on l’a vu), évangélisation technique, pédagogie écrite, transmission de l’information sans risque de déperdition par incompréhension...
Comment ? osef, vous dites ? Oui, ça se défend, c’est un choix de carrière.