Tristesse de la terre, Éric Vuillard (Actes Sud)

Quelques extraits de ce très beau livre, qui montre le colonialisme d’Amérique du Nord à travers le Wild West Show.

J’ai lu voilà quelques années un roman très bien écrit, que certaines critiques qualifient plutôt d’essai, ça se défend finalement assez bien. Mettons donc, un essai écrit comme un roman.

Dans Tristesse de la terre, Éric Vuillard raconte Buffalo Bill et son spectacle itinérant, le Wild West Show, dans ses tournées mondiales où les Indiens d’Amérique étaient humiliés, faire-valoir du conquérant blanc.

J’avais noté quelques belles phrases, que je fais mieux de publier ici au lieu de les garder pour moi.

À cette époque, le premier zozo venu pouvait fonder une ville, devenir général, homme d’affaires, gouverneur, président des États-Unis ; c’est peut-être encore le cas.
pp. 21-22

Plein d’ironie, ce livre… pendant que n’importe qui pouvait se rêver important, on piétinait les populations autochtones.

[P]our servir l’opération promotionnelle, le cliché devait témoigner de deux éléments contradictoires : la réconciliation des peuples et la supériorité morale et physique des Américains. C’est ainsi que, sur cette photographie, Buffalo Bill bombe démesurément le torse afin de paraître plus digne. Il se tient très droit, la jambe gauche légèrement en avant, la tête haute, royal, toisant l’Indien. Sitting Bull, les yeux dans le vide, se contente de tendre la main. Le progrès triomphe. On les regarde un peu perplexe.
pp. 29-30

Une photo est très fréquemment utilisée, où les deux hommes regardent vers la droite (posture héroïque pour Buffalo Bill vieillissant, soumis et effacée pour Sitting Bull), mais celle qui illustre un chapitre du roman montre celle, moins connue, où ils se serrent la main. La domination est palpable.

Photo en noir et blanc de deux hommes debout, l'un en tenue d'apparat des Indiens Lakotas, l'autre en tenue de cowboy.
Sitting Bull et Buffalo Bill mis en scène

(Photographie de la collection Notman dans le domaine public, consultable au Musée McCord Steward.)

Dans chaque cimetière, il y a une division pour les pauvres, un petit carré mal entretenu, recouvert d’une lourde trappe, sans croix, sans nom, sans rien. Quelquefois, un galet est posé par terre, un bouquet sec, un prénom est tracé à la craie sur le sol, une date. C’est tout. Il n’y a rien de plus émouvant que ces tombes. Ce sont peut-être les tombes de l’humanité. Il faut les aimer beaucoup.
p. 47

J’aime cette citation pour la fosse commune des indigents.

[I]l devint brutalement évident à Buffalo Bill que la nostalgie n’était pas seulement une résistance vaine contre la nouveauté déchaînée, mais qu’elle était elle-même devenue à présent une forme de notre savoir. La civilisation était devenue cela : un alliage impossible de nouveautés et de regrets.
p. 128

Insérer ici l’expression galvaudée de « réconcilier tradition et modernité » et se dire que ça ne date pas d’hier.

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