Je suis en train d’écouter le nouvel album de Tori Amos, et comme d’habitude je souris béatement.
Oh, elle a bien encore de ces envolés hystériques qui font son charme(!), mais elle a surtout cette voix envoûtante qui vous fait tout arrêter pour vous laisser pénétrer de sa sensualité, de sa chaleur, de son amour des autres peut-être ?
Plus je l’écoute, plus je la trouve belle. Ce qui paraît sans doute idiot de simplicité (le fanatisme bêlant du fan subjugué) n’est pas si évident. Elle prend un malin plaisir à travestir son apparence sur les pochettes d’albums, comme Annie Lennox (et qu’on ne me dise pas que ce n’est pas fait sciemment). La difficulté d’être une femme dans une société où la consommation nourrit sa publicité de désir sexuel inavoué, c’est qu’on risque de ne vendre ses albums que sur la base de sa beauté physique. Elle prend donc le problème à bras le corps, et vous êtes bien obligé de l’écouter chanter pour vous faire une idée.
L’idée est faite, Tori Amos est belle. Est-ce que je l’aurais déjà dit ?
Je suis toujours aussi frappé par les titres incongrus, et le texte, provocateur (Black Dove, Colombe Noire ; Raspberry Swirl, Tournoyer la framboise : je ne résiste pas à vous lire un extrait : "I am not your senorita [...] Everybody knows I’m her man [...] If you want inside her well, boy you better make her raspberry swirl —je vous laisse traduire...) mais sans grande conséquence. Elle s’amuse comme une folle à titiller en particulier les tabous sexuels de notre société, de l’homosexualité aux rapports homme/femme. Nul doute que Tori Amos soit une féministe convaincue, non pas au sens naïf de "les femmes au pouvoir", mais au sens d’une revendication d’égalité, doublée d’une concentration sur le passé et sur ce que le présent peut changer.
Elle a un peu délaissé le piano brut de Boys For Pele, a ajouté des sons synthétiques, a même parfois transformé sa voix (sacrilège ?) à coups de synthétiseurs. Mais la voix reste là, superbe, légèrement rauque et fluide à la fois. Le piano pousse pudiquement la porte pour des chansons entières, couplé avec ce qui sonne bien comme des cordes.
La musique a perdu peut-être un rien de pureté depuis le dernier album (la pureté qu’on associe souvent à l’exercice difficile d’une voix avec un seul instrument en contrepoint). Mais elle a gagné en épaisseur. On découvre toujours d’autres détails, d’autres touches, à la limite du pointillisme.
Tori Amos est en concert en France au Grand Rex le 5 juin. J’y serai.
"I got lost on my wedding day..."