Cher voleur de vélo,
(J’aurais pu dire « voleur de bicyclette », ça aurait sonné plus joli comme titre d’article, mais ça aurait eu un côté poétique, ciné-club des années soixante-dix, que je vous refuse).
Vous avez cru bon, hier, d’ouvrir avec une pince coupante l’antivol de mon vélo, et sans doute avez-vous filé très vite, avec le petit frisson du malfaiteur et le coeur qui bondit parce que vous aviez réussi votre coup.
Bravo, soyez fier de vous.
On m’avait déjà prévenu qu’un vélo neuf attire les convoitises, mais je l’utilisais pour déposer ma petite fille à l’école : il était hors de question d’acheter d’occasion un vieux clou et de prendre des risques avec sa sécurité, vu la hauteur où nous habitons et la longue côte que nous devons descendre.
Ah oui, parce que je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a un siège enfant sur ce vélo. Vous savez quoi ? Je ne l’ai pas posé là par pur postulat esthétique, mais parce que ce vélo m’était utile pour l’emmener à l’école.
Évidemment, vous ne vous êtes pas demandé comment je vais pouvoir la déposer jeudi matin ? Vous n’avez pas pensé qu’une enfant de trois ans ne peut pas faire quarante minutes de marche, sans doute ?
Je croyais être dans une gare assez tranquille, « provinciale », comme on dit, alors je vous remercie de me rappeler que les cons sont partout.
Vous m’avez soulagé de quelques inquiétudes : est-ce que le froid en hiver allait être supportable pour cette petite fille dans la descente vers l’école ? Fallait-il lui mettre dès maintenant une écharpe et des gants, l’automne s’approchant ? Comment allais-je gérer la pluie et les routes glissantes du petit matin ?
J’aurais compris que vous me preniez des choses vendables, mais je n’imagine pas que vous allez pouvoir tirer grand-chose de mon vélo — je ne pense même pas que c’est ce que vous cherchez. Non, je vous vois plutôt allant faire un gymkhana sauvage pendant la journée, puis vous lassant et jetant mon vélo aux orties.
J’avais choisi le vélo parce que c’est économique, écologique [1], pratique pour éviter les bouchons du matin autour de l’école, et qu’il me permettait de passer un moment privilégié quotidien au grand air avec ma fille, moment où nous échangions nos impressions sur le parfum de l’air ou la couleur du ciel et des arbres. Je vais donc prendre une vieille voiture, en remplacement, pour vous éviter une nouvelle tentation.
Vous serez bien avisé de faire attention, cependant : le vélo n’a pas trois mois, je n’ai pas encore resserré les câbles. La chaîne saute de temps en temps. Loin de moi l’idée réjouissante de vous imaginer dérailler pendant vos escapades, et vous écorchant le genou comme un gamin morveux.
Je ne suis qu’à peine en colère contre vous ; soyez en tout cas assuré de mon plus profond, indéfectible et définitif mépris. Vous êtes petit.