Nous allons avoir une fille.
L’échographie a deux jours, et j’ai encore du mal à réaliser. Après la première échographie, on ne devrait pas être surpris : "ah tiens je vais avoir un enfant !" Non, ça fait cinq mois déjà que vous le savez. La seule surprise, c’est le sexe dudit enfant, mais ça ne devrait pas fondamentalement changer grand-chose à l’idée à laquelle vous vous préparez depuis cinq mois :
- Dans quatre mois vous n’aurez plus d’ordinateur fixe.
- Votre bureau sera devenu votre chambre.
- Vos bibliothèques seront passées dans le séjour (ça c’est déjà fait)
- Votre ancienne chambre arborera une frise avec des nounours (ou autre motif gentillet approchant).
- Vous apprendrez à dormir par tranches de deux heures.
Et surtout, dans quatre mois vous serez passés du statut de couple de bobos à celui de famille avec enfant, nounou et monospace-pour-y-mettre-la-poussette.
Rien de ce que vous pouvez avoir vécu avant de faire un enfant ne vous y prépare vraiment : c’est autre chose. Ça ne deviendra vraiment une réalité que quand je ramènerai Stéphanie et le bébé de la maternité, et que nous rentrerons chez nous à trois pour la première fois, m’assure-t-on de droite et de gauche.
Et me voilà me posant déjà des questions sans réponses, dont je ne pourrai mesurer véritablement l’ampleur que dans quelques dizaines d’années.
Comment faire pour élever un enfant dans le respect de certaines valeurs, républicaines (liberté, égalité, fraternité), écologistes, ouvertes ? Comment faire pour être en même temps suffisamment ouvert pour lui permettre de se développer en tant qu’individu distinct et suffisamment strict (rigoriste ?) pour qu’elle soit bien élevée, qu’elle cède sa place dans le bus et dise bonjour à la boulangère ? Comment faire pour qu’elle soit joyeuse ?
Comment, surtout, la rendre heureuse et l’aider à trouver sa place ?
Forcément je me prends aussi à penser que les adultes d’aujourd’hui sont monstrueusement égoïstes de vouloir des enfants. Quelle monde leur léguons-nous ?
Un monde pollué, pourri par le capitalisme qui dilapide les ressources au nom du sacro-saint principe du "tout, tout de suite", et de celui encore pire du "toujours plus, le plus vite possible". Un monde qui en profite pour inventer de nouvelles formes d’esclavage déguisé (ou pas).
Un monde d’égoïsme, où on a peur de son voisin, et où nombreux sont ceux qui se plaignent de payer trop d’impôts sans penser qu’à la base, les impôts servent à assurer les dépenses publiques (routes, institutions éducatives, etc), et surtout à financer la solidarité nationale (que celui qui se plaint de cotiser n’ait jamais le malheur de ne plus avoir de travail, il n’aura pas ma pitié).
Je n’en démordrai pas : ce qui a permis à l’homme de survivre dans l’hostilité du monde, lui si mal équipé en comparaison de tant d’autres animaux, c’est sa grégarité. C’est en groupe qu’il a pu chasser, c’est en groupe qu’il a pu éloigner les prédateurs. C’est parce qu’il vivait en groupe que les activités ont pu se spécialiser (je te troque ta viande contre la peau que je t’ai tannée pour te tenir chaud). Renier ce besoin de solidarité c’est renier son humanité.
Alors me voilà devant le premier dilemme de ma vie de parent, avant même d’être présenté à ma fille : comment en même temps lui transmettre ces valeurs fondamentales, et ne pas avoir l’impression de lui avoir lavé le cerveau, de l’avoir forcée à penser comme moi ? Tout de suite, on fait moins les malins, hein ?