C’est un temps de crise, un de ces temps où l’on s’agace, on s’énerve, on s’impatiente, on piaffe contre l’incurie, on voudrait taper du pied que ce n’en serait encore pas assez.
Alors on vitupère, on fulmine, on aimerait être un cheval pour faire sortir des volutes furieuses par les naseaux, être un rhinocéros pour ne s’arrêter qu’après avoir tout détruit, tout enfoncé, tout défoncé.
On pourrait même, tiens, aller jusqu’à conspuer, mais ce n’est pas mon genre. J’ai la colère rentrée, celle qui ne crie pas, qui ne sait même pas s’exprimer proprement. Et puis, conspuer, conspuer, oui, mais est-ce seulement jamais suivi d’effets ?
Quant à moi, j’aimerais dire que la colère m’a quitté, mais non, elle revient souvent. Il ne faudrait pas oublier que nous sommes si proches des chimpanzés, après tout. J’ai fait la paix avec la plupart de ce qui m’a fait souffrir, déjà, c’est une chance.
Et puis je suis de plus en plus persuadé que la colère sourde, la seule que je connaisse réellement, les dents serrées et le ventre avec, n’est pas bonne pour la santé. On s’aigrit, dedans, on finit par avoir l’acidité chevillée au corps, la bouche crispée, le rictus qui descend aux encoignures.
Non.
Moi je préfère de loin que les commissures remontent toujours un peu, qu’elles fassent de l’ironie à mon insu.
Je préfère m’efforcer de voir le beau, même quand c’est dur — surtout quand c’est dur. Rire encore et toujours, et surtout admirer les petits riens, la feuille de ceci, le parfum de cela, la chanson d’untel et le bon mot d’unetelle. La photo qui m’arrête deux secondes dans la course quotidienne.
Atténuer le brouhaha mental, m’arrêter, voir de tous mes sens, sourire, rire, rester soufflé par tout, continuer à admirer comme un néophyte. En somme, je crois que je préfère, simplement, que tout pour toujours m’ébaubisse.
Un exercice littéraire par semaine, #EcritHebdo, pour occuper le silence et offrir un peu de beau si on peut.