Pour ceux qui ne le savent pas encore (par exemple si, ami lecteur, tu tombes sur ce site au hasard de tes pérégrinations), sachez que je ne vois que d’un oeil.
Mais comme rien n’est simple, mon oeil gauche n’est pas complètement aveugle. Il est juste assez efficace pour m’informer des zones de luminosité, des très grandes zones de couleur, bref de choses assez inutiles sauf pour vous prévenir du danger (« là ! une voiture ! ah, trop tard ! »).
J’ai acquis depuis longtemps la désinvolture suffisante pour m’accommoder du fait, et pris, comme tous les gens qui ont des défauts [1], l’habitude de les pallier.
Voilà quelques petites anecdotes, comme ça, pour partager le quotidien d’un défaut pas très important mais générateur de taquineries qui, parfois, fatiguent un poil.
« Tu es vraiment un touriste ! »
Même en plein hiver, j’arrive souvent au bureau avec des lunettes de soleil. C’est évidemment une aberration pour le grand public, qui n’a de lunettes que pendant les grandes vacances, et à l’extrême rigueur qui les laisse prendre la poussière dans la boîte à gants le reste de l’année.
C’est qu’on oublie vite, quand on a deux yeux, que le soleil d’hiver est très fort. Quant à celui d’automne, la luminosité diffuse à travers les nuages, n’en parlons pas.
Un seul oeil valide, c’est un effort soutenu et permanent ; et quand vous avez un rayon de soleil dans un oeil, tout naturellement vous le fermez. Moi, si je ferme le seul oeil que le rayon de soleil indispose vraiment, je n’ai plus qu’à m’équiper d’une canne blanche.
En été, je pousse même le vice, ébloui comme je le suis, jusqu’à porter une casquette. Oui, comme un jeune ! Non mais rendez-vous compte jusqu’où je pousse le vice : parfois même, le soleil a le front d’éclairer violemment le bureau où je travaille. J’ai donc toute l’année une casquette posée sur mon bureau, et je la porte dès que je ne peux plus voir mon écran.
Alors, est-ce que ça fait de moi un touriste ?
« Tu pars en rando ? »
Je vous propose un petit jeu : fermez un oeil et promenez-vous dans votre environnement.
Vous découvrirez alors que le sol que vous croyiez plat ne l’est pas : vous avez compensé inconsciemment les irrégularités en vous appuyant sur la triangulation que vos yeux ont accomplie naturellement [2].
Maintenant, avec cet oeil fermé, allez marcher dans la rue à la même vitesse que les autres gens. Là, votre surface de vision étant fortement réduite, vous découvrez que vous devenez plus concentré à éviter les obstacles, mais qu’en même temps vous en voyez moins.
Vous allez très vite vous surprendre à marcher d’un demi-pied sur un bord de trottoir, à glisser sur une margelle : faites attention, c’est comme ça qu’arrivent les entorses !
Pour tenter de réduire le problème, je porte presque toute l’année des chaussures qui englobent la cheville, pour la renforcer un peu [3].
Je dois donc être un type désinvolte qui se croit déjà en vacances et prépare sa randonnée, comme on me le fait remarquer périodiquement.
Ce n’est pas méchant
Je vois d’ici les commentaires affluer : Mais, allons, ce n’est pas méchant. Ce sont des boutades, et dans le monde du travail c’est très courant. Après tout, c’est plutôt bon signe, cette ambiance de cour d’école un peu potache.
Oui, vous avez raison. Mais figurez-vous que de temps en temps malgré ma bonhomie de façade, j’aimerais bien qu’on me lâche juste un peu les baskets.