Écouter l’article en MP3, lu par Anna Balade.
Je m’aperçois que de nombreuses personnes avec qui je travaille ont souvent l’expérience d’être à plusieurs dans la même salle, tandis que je suis à distance au téléphone. Donc ça maugrée, ça parle ensemble, ça rigole, et le signal est en partie perdu, mais bon, on s’en arrange. Dans la vraie vie quand on papote en terrasse, on n’entend pas tout non plus, après tout.
Là, les gens sont tous au téléphone, et déjà, on progresse sur l’intelligibilité : ils comprennent très rapidement que s’ils entendent mal leurs collègues, c’est sans doute que les collègues les entendent mal aussi. J’ai la chance de travailler depuis de nombreuses années dans une sphère qui gravite autour du handicap, et on y acquiert des méthodes accessibles qui rendent la discussion plus inclusive [1]. En effet, mettez dans une conférence une personne malentendante et une personne sourde accompagnée d’un·e vélotypiste ou d’un·e interprète en langue des signes, et vous apprenez rapidement les bases d’une communication téléphonique accessible.
1. Une seule personne parle à la fois
Souvent les gens sont enthousiastes ou pressés : c’est super, c’est une bonne chose ! Mais là, il va falloir se discipliner un peu. À l’école on lève la main. C’est enquiquinant mais ça limite le bazar ; c’est comme ça et on s’y est fait. Certains outils de conférence téléphonique permettent, via un petit bouton « lever la main », de dire que vous pouvez parler. Et des fois ça ne marche pas, et des fois ça n’existe pas. Alors on fait comment ?
Le plus simple est de désigner un·e président·e de séance, qui dit qui doit parler. Quand c’est une réunion d’équipe c’est simple : c’est le chef qui organise, c’est à lui que revient le rôle très rapidement [2]. Quand c’est une discussion scolaire, soit le·la prof qui organise prend le rôle, soit iel désigne, pourquoi pas, un·e élève pour présider. Notez que c’est chouette, ça permet d’apprendre la démocratie participative en passant. Le·la président·e de séance n’est pas la personne qui décide, c’est celle qui organise le tour de parole.
Et s’il n’y a pas de président·e de séance, attendons notre tour. C’est frustrant, mais c’est comme faire la queue à la boulangerie, on n’a pas trop le choix si on veut que ça se passe bien [3].
2. Annoncer son prénom quand on parle
Les profs le savent : plein d’élèves ont la même voix. Hé bien quand on devient adulte c’est pareil : les voix ont une grande chance de se ressembler ! Souvent en réunion, je ne sais pas qui parle, même avec des gens de mon équipe. Et si c’est une réunion avec des gens que je ne connais pas, c’est encore pire.
Quand vous faites une réunion avec des personnes sourdes dans la même pièce, l’interprète en langue des signes désigne la personne qui parle. Mais au téléphone ? Hé bien, vous dites votre nom, et l’interprète peut donc l’indiquer à la personne sourde. Et s’il n’y a pas de personne sourde dans la réunion ? Remontons d’un paragraphe et relisons-le !
Il vous suffit de vous présenter chaque fois que vous prenez la parole. Par exemple, mon collègue Gilles dit juste « Gilles » quand il commence [4]. Moi je ne suis pas aussi habitué que lui, alors je dis « C’est Stéphane. » Oui, ça fait deux mots au lieu d’un, c’est épuisant, m’en parlez pas ma bonne dame.
Depuis quelques jours je demande de plus en plus systématiquement à mes collègues de le faire, et ça vient progressivement, et je leur en suis reconnaissant.
3. Ouvrir une fenêtre de chat en parallèle pour mieux comprendre
(Ou, en bon français, un « backchannel ».)
Quand une personne parle, on peut ne pas comprendre des mots dans sa phrase, pour plusieurs raisons : une petite coupure du signal téléphonique, un défaut d’articulation, un nom de famille jamais entendu [5], une fin de phrase dans sa barbe, un bruit autour, etc. Dans ce cas c’est embêtant d’interrompre la personne systématiquement pour dire « Euh, tu as dit “boufmark” ou un nom comme ça [6], j’ai pas compris, tu peux redire ? »
De temps en temps aussi il nous manque des éléments pour mieux comprendre le contexte. Par exemple l’autre jour une personne parle « d’Olivier », mais Olivier qui ? Ce n’est pas un prénom rare, je n’ai pas su de qui on parlait.
Ouvrez un canal de chat « sous-titres » et connectez-vous tous dessus. Ainsi je peux poser la question à l’écrit et quelqu’un (qui a compris) peut m’écrire que ce je n’ai pas compris, sans faire répéter la personne qui parle, sans rompre le flux de la discussion. Je n’ai plus l’air du Professeur Tournesol, et je n’ai plus l’impression d’être un vieux relou.
Dans les cas précédents, j’aurais pu écrire « [boufmark] ? » ou « Olivier qui ? » sans déranger personne.
À noter : le vrai truc épatant, c’est ce que font les gens du W3C ou de Paris Web. Toutes les réunions sont scribed. Ça veut dire qu’une personne prend le rôle de scribe, comme aux temps anciens, et note tout ce qui se dit. C’est très pratique : quand j’ai mal à mes oreilles, je peux participer à une discussion sans même devoir l’écouter avec mes oreilles, et j’ai même le droit de voter pour les décisions !
4. Porter sa voix
Une des premières choses qu’apprennent les gens qui se destinent à devenir acteurs de théâtre, c’est de « porter la voix ». C’est simple : quand je parle, ma voix est quelque part autour de mon larynx [7]. Or c’est bien si je suis à un mètre de vous, c’est insuffisant si je suis à l’autre bout d’une salle de réunion, d’une salle de classe, ou à l’autre bout du fil.
Porter sa voix c’est s’imaginer que le son ne sort pas de ma gorge mais de devant moi, à un ou deux mètres. Si je m’applique, je vais parler plus fort, et en bonus je vais peut-être même mieux articuler pour me faire comprendre.
Portez votre voix quand vous parlez, même si vous savez que le micro de votre téléphone n’est pas loin. Je vous jure que ça change tout.
J’en profite pour dire que si vous pouvez ralentir votre débit et vous appliquer pour bien articuler, ce sera encore mieux. Franchement au début vous vous sentirez bête [8], mais ça vient vite et au bout d’un moment c’est un automatisme, vous le ferez sans y penser.
5. Couper son micro
Ça c’est le truc rigolo qu’on oublie tout le temps : si je ne parle pas, je coupe mon micro.
On évite les bruits parasites : vous vous grattez la barbe, quelqu’un parle à côté de vous et ça crée un brouhaha sur la réunion, etc.
On évite aussi les gaffes : « Ah quel con j’ai vu son mot de passe — oups euh pardon, non je me parlais pas de toi ! » (je vous promets que quand on travaille à la maison, on a tendance à commenter plein de choses à voix haute !).
Souvent ce ne sont que des petits bruits, par exemple de respiration. Mais quand on est malentendant [9], notre cerveau a plus de mal à faire le tri entre ce qui est du « bruit » (un truc pas voulu) et ce qui est du « signal » (l’information qu’on veut faire passer). Autant faciliter le travail des autres personnes qui participent à cette réunion téléphonique, ça réduit un petit peu leur fatigue aussi !
6. Décrire l’écran
Une dernière petite chose. Si vous partagez votre écran, expliquez ce qu’on est censé y voir. Les partages d’écran, c’est souvent long à se rafraîchir. Et vous n’êtes pas à l’abri d’être en réunion avec une personne aveugle, ou malvoyante (ou un peu plus avancée en âge !), ou qui n’a pas réussi à vous rejoindre sur la téléréunion : elle a le son mais pas l’image !
Donc plutôt que de dire « On a ça, là », dites « J’ai doublé l’épaisseur de la bordure orange sur le lien. »
Yapluka !
Voilà, merci d’avoir bien écouté patiemment sans m’interrompre. Je vous écoute ?
(… et un grand Merci à Anna pour sa relecture attentive !)