Il y a quelques années tandis que nous devisions gaiement, le mot « suranné » surgit au milieu de la conversation. Yves T. fait remarquer comme il est intéressant que « suranné » soit lui-même un mot… suranné.
Depuis lors je m’amuse à noter ces petites choses.
Tenez : il y a quelques jours un collègue me demande si ça va. Moi, évidemment, de répondre « Et toi, l’à matelas ? » Prononcé vite, on ne comprend plus et on entend : « Et toi, lamatla. » S’ensuivent, dans l’ordre :
- circonspection,
- demande de répétition,
- explications,
- gausserie générale sur un vieux truc qu’on ne connaît plus (pas méchant non plus, ne nous offusquons pas).
Alors m’échappe un « j’aime l’humour patrimonial. » Gausserie derechef, parce qu’effectivement on ne le dit pas si souvent. « Patrimonial, » c’est vrai qu’il faut pouvoir le placer. Ça surprend.
La plupart du temps je me retiens, pourtant.
Quand je dis « jargon, » ce qui est fréquent dans nos métiers, je pense « idiolecte » mais j’évite de le dire, les gens entendent surtout « idiot. » C’est idiot.
De même que je dis « lexique » quand la plupart des gens disent « vocabulaire. »
C’est comme ça.
Nous avons à notre disposition une langue tellement riche et tellement belle que je me sentirais comme un designer devant Microsoft Paint en 8 bits si je n’utilisais que les 500 mots de base.
Ainsi par exemple du très à la mode « mythique, » ou de l’anglophone « priceless, » pour dire « inoubliable, » « formidable, » que je préfère évidemment (avant d’écrire ce billet j’ai fait attention à ce que je dis et compté environ un « formidable » par semaine, et une vingtaine de « intéressant »).
Ce côté Claude Hagège pourra déplaire je suppose, mais je ne m’en déferai pas. Ces détours vers des mots moins usités sont pour moi des arabesques et des dégradés, du pointillisme que même, de loin, vous ne verrez pas, ou seulement une partie. Mais je saurai que les points sont là, et c’est avant tout ce qui me motive.
Certains sont des parvenus financiers, moi je suis un parvenu langagier.