Je ne savais même pas que j’étais si fatigué.
Depuis que j’ai abandonné démissionné de Paris Web, je végète, et ça fait deux mois que ça dure.
Je ne me savais même pas capable de prendre une respiration si profonde, depuis toutes ces années que je me tourne de droite et de gauche, excité par toute l’effervescence du monde du web.
Et puis comme je répète à l’envi que les cimetières sont pleins de gens indispensables, je me prouve encore une fois s’il le fallait que je ne suis pas plus indispensable que le reste du monde.
Pendant ce temps, je fais le fou avec mes petits bouts, je lis, je dors. Je dors un peu n’importe quand : dix minutes dans un canapé, en vrac dans le train. Je dors comme jamais. Les nuits restent courtes mais les micro-siestes abondent. C’est étrange, j’ai presque l’impression de me soigner d’une hépatite.
Et je lis. Alors au lieu de garder pour moi mes critiques embryonnaires, je vais de ce pas polluer votre écran.
Until I find you, de John Irving
(j’avais commencé à écrire cette critique en anglais, et je n’ai même pas le courage de vous la faire en français... vous m’excuserez et vous passerez à la suite si l’anglais vous indispose)
I was wary of John Irving. I guess I tried his books too young, and had heard so much good about him that I was evidently disappointed. Moreover, I had not yet opened up from my science-fiction roots. Isaac Asimov and Frank Herbert were still my gods, and a number of years away from being replaced by Philip K. Dick, David Lodge and Paul Auster.
So, imagine the mingled pleasure : you’re offered the latest novel of an author whose books you’ve tried, twice, and to no avail. Of course a gift is still a gift, and it was graciously offered, I was happy to receive it. I also had the inner temptation of trying Irving again, and I knew there was a possibility that I was old enough —one might say snobbish enough if one knows me— to actually like it.
And I do.
It’s a long book, more than a thousand pages, and it really leaves you with a strange impression. First what strikes me is the gallery of characters, both the tattoo-world people and the driven musician. Jack’s father is an organ player, and since Jack’s mother portrays his father as frequently unfaithful, we can salute Irving’s choice of ’organ’ for its polysemy.
What made me stick to the novel was the characters, in the beginning. Then the story slowly slips into a desperate quest for lost love, and the novel acquires its true depth.
Then, when the first half comes to a halt, with Alice deciding to stop running around the world and putting Jack in a serious school, one sees the varnish slowly crack.
People begin to talk, after two earth-shattering deaths. By the way, I was struck by the depiction of the two deaths and ceremonies. It’s not too often that novels make us feel like we’re mourning actual, close friends when we’re just reading about plain characters. I was moved, more than expected.
As I was saying, people begin to talk, and the second half of the lengthy novel revisits all the memories Jack has of his childhood.
We’re then told several important lessons about life : how it can be bent to obey one’s representation, how one is always subject to appearances, especially when one is a child and has a thorough, absolute faith in one’s parent’s word.
It tells us how life is a permanent deception, how thin the varnish is and how ugly family secrets can be.
A quick, last note on Irving’s style. In one word : subtle. Irving makes us think his style is easy. Plain words, no showing-off. Yet there are many lines like this one, which show how cautiously every word was chosen :
She was more handsome than pretty.
How on earth did they translate it into french ? I’ll have to look it up in the french edition.
So. A real pleasure indeed. I’m going to try and find older books by Irving, I think I’m ready now.
J’étais derrière toi, de Nicolas Fargues
Ça pourrait raconter bêtement l’histoire toujours compliquée des couples qui se déchirent parce qu’ils ne trouvent pas la force de faire les choses proprement du premier coup. Et que je te trompe, et que je me repens, et que je t’en parle, et que le monde s’effondre, et que tu ne me pardonnes pas, et que tu me trompes une fois, pour être quitte, et que je ne parviens pas à me faire à l’idée que tu aies pu coucher avec un autre, plus beau, plus musclé, plus exotique.
Mais ce livre ne se limite pas à ça. Même, Nicolas Fargues nous prend à contrepied : on commence par une ces rencontres que le narrateur trouve trop incroyable pour l’imaginer hors d’un roman. Il nous prend à témoin, à la première personne, de ses confidences. Toi, lecteur, tu ne trouves pas que c’est presque trop beau, une jeune femme qui te laisse son numéro sur une carte du restaurat, avec juste ces mots, « J’étais derrière toi », en italien évidemment (l’autre langue de l’amour), et le tout avec un sourire mi-complice mi-admiratif du serveur ?
Un roman subtil dans la forme, très vrai sur le fond. Lu trop vite sans doute, pointu dans les sentiments. Encore, encore !
Franz et Clara, de Philippe Labro
Je ne comprends pas comment un auteur septuagénaire peut avoir une approche aussi fraîche de l’existence, mais une chose est sûre : Philippe Labro n’est pas blasé.
C’est l’histoire de l’amour impossible (si tant est qu’on veuille s’accorder sur la définition de l’amour) entre un enfant de douze ans et une femme de vingt.
Un roman qui prend le temps de s’asseoir sur un banc et de regarder les éclats de soleil qui jouent dans les vaguelettes des cygnes sur le Lac Léman.
Je ne sais pas trop comment vous parler de ce livre, sauf à vous dire qu’il est lumineux, qu’il montre que le bonheur et l’énergie vitale se définissent par contraste, face à la mort et à la fragilité de notre existence. Venant d’un homme qui a frôlé la mort, ça peut sembler évident, mais nous avons tous trop souvent le sentiment d’être immortels. Et nous oublions alors combien chaque instant est précieux.
Comme le dit si bien Labro à Lire, Mais la mort peut aussi être une porte qui s’ouvre. Ce sentiment de la précarité de la vie peut conduire ceux qui le ressentent à vivre plus fort, plus haut, plus vite. On croit alors qu’il s’agit d’ambitieux quand ce ne sont que des insatisfaits.
Je suis absolument persuadé de ça, depuis de nombreuses années. Je veux que chaque jour m’apporte son lot d’amour, d’inspirations d’air frais, de doux soleil sur la nuque, de rires d’enfants, et d’amour, toujours d’amour. Un sourire, un baiser, une question pleine de fraîcheur. La vie est là.
Je suis une légende, de Richard Matheson
Dans un tout autre registre.
Je venais de finir Franz et Clara et j’étais tremblant à l’idée de faire un trajet de deux heures sans lecture. Un genre de drogue, la lecture.
Comme c’était la mode au cinéma, et que j’aime bien la science-fiction questionneuse (c’est un vrai adjectif, ça ?) et pleine de suspense de Matheson, j’ai acheté ce petit bouquin.
Et je n’ai pas vu passer les deux heures du train.
Je ne sais pas quoi vous dire d’autre sans rentrer dans des détails qui vous feront pester contre le premier degré du lecteur de SF tentant de vous persuader que le roman qu’il a lu est épatant. Soit vous aimez la science-fiction et vous serez intéressé, soit vous n’aimez pas et vous ne verrez même pas l’intérêt de lire cette critique.
Donc, en deux mots : un très, très bon moment à se ronger les ongles et à réfléchir au vernis qui fait de nous des animaux sociaux.
Ainsi mentent les hommes, Kressman Taylor
Kressman Taylor, si vous ne la connaissez pas, a fait un petit roman épistolaire nommé Inconnu à cette adresse qui plante un fameux clou dans l’évolution d’une amitié pendant la montée du nazisme.
Elle a dans ce recueil de quatre nouvelles une démarche qui se rapproche de Raymond Carver dans sa capacité à capter l’Amérique des années cinquante dans ce qu’elle a d’intime.
Sous la surface sans poussière des foyers modestes, il y a toujours un secret, une tension. Les enfants perdent leur innocence, un jour, et deviennent grands sans s’en rendre compte. D’un coup, trop tard, ils savent que le soleil ne se lève pas parce qu’ils l’ont invoqué, mais parce que c’est dans l’ordre des choses. Ils se découvrent aussi méchants que les adultes.
Une façon brillante de s’approcher des « histoires sans histoires » et de s’y arrêter.
Orfi aux enfers, Dino Buzzati
Prenez un romancier bien connu. Faites mijoter une soixantaine d’années, et, alors que la BD n’a pas encore obtenu ses lettres de noblesse, regardez comme il comprend la finesse des rapports du texte à l’image et comme il sait faire s’effacer l’écrit pour ne plus raconter qu’à travers des pages surréalistes où seul le dessin raconte.
C’est assez difficile de vous en parler plus, d’autant que je ne l’ai pas sous la main (on me l’a prêté).
Une très bonne « leçon de choses » pour tous ceux qui s’intéressent à la bande dessinée. Comme trop rarement en bande dessinée, on en garde cette impression que c’est le seul médium capable de transmettre ce que l’auteur a voulu y mettre.
Vous êtes encore là ?
Ces jours-ci, je lis Shalimar The Clown, de Salman Rushdie. Je vous en reparlerai, c’est fantastique.
D’ici-là, voilà la question qu’a posée ma fille hier soir, et je vous remercie d’avance de contribuer à la réponse : dans Blanche Neige, la sorcière donne à Blanche Neige une pomme empoisonnée, vous vous rappelez ? L’autre soir elle prend une pomme en dessert : « pourquoi est-ce qu’on ne sert pas des pommes empoisonnées comme dans Blanche Neige ? »
Je ramasse les copies dans deux heures.