Qu’on ne se méprenne pas : je suis pour le recrutement de tout le monde, sans considération de handicap, de sexe, d’origine ethnique. J’ai pendant longtemps expliqué l’accessibilité web aux gens en m’appuyant sur des données démographiques (et donc, par rebond, économiques), tout en insistant bien sur le fait que pour ma part, mon moteur est avant tout humaniste : exclure qui que ce soit de l’accès à l’information, non, je m’y refuse [1].
J’ai pris des notes un peu en vrac ci-dessous, mes excuses par avance si c’est trop confus.
Difficultés perçues
Avant même d’envisager sérieusement d’embaucher une personne handicapée, on se pose des tonnes de questions. Tenez par exemple, quid de l’adaptation du poste de travail ? Est-ce que c’est compliqué, comment ça se passe ?
Au risque d’en surprendre plus d’un, la plupart du temps ça se passe assez simplement. Il suffit souvent d’équiper un téléphone d’un casque audio pour une personne à l’ouïe un peu défaillante, ou de mettre une alarme incendie visuelle en plus de l’alarme sonore si on a un employé sourd. Acheter une revue d’écran (Jaws par exemple) et une plage Braille pour un employé aveugle. Rehausser un bureau et s’assurer que les portes sont assez larges (et que les toilettes sont accessibles) pour un employé en fauteuil roulant. Organiser une assistance en vélotypie si on a un salarié sourd (c’est une prestation courante, il existe des sociétés spécialisées dans ce domaine).
Un certain nombre d’employeurs préfèrent payer l’amende auprès de l’AGEFIPH plutôt que de faire ces simples efforts.
Mais quand on creuse, souvent on découvre que ce n’est pas ça, le vrai problème. On découvre que les blocages ont davantage à voir avec les humains, qui ont encore du mal à savoir se comporter avec des personnes handicapées.
Un jour par exemple, dans un service où une personne en fauteuil, presque complètement tétraplégique, devait arriver, une collègue s’inquiète : « Je ne sais même pas comment lui dire bonjour ! ». Ne vous moquez pas, elle avait au moins le mérite d’oser poser la question.
Alors non, ce n’est pas un monde idéal. Le handicap peut être intimidant, c’est certain. Mais on peut aussi le prendre comme un moment où l’on découvre l’autre-dans-son-altérité. Par exemple quand je rencontre des sourds j’adore apprendre des nouveaux mots en LSF.
Une personne handicapée est aussi différente de vous qu’une personne qui n’a pas la même couleur de peau, la même taille, la même corpulence, les mêmes cheveux. C’est juste une différence, ça n’en fait pas un extra-terrestre.
Embaucher des personnes handicapées, oui, mais comment les trouver ?
Quelle est l’obligation des entreprises françaises ? Elles doivent, au-delà de 20 salariés, comporter 6% de salariés handicapés. Sans quoi, elles doivent payer une somme très importante à l’AGEFIPH, qui est tout bonnement une amende [2].
Bon, d’accord, il faut embaucher des personnes handicapées, mais comment les recrute-t-on ?
Suite à quelques témoignages que j’ai recueillis, il semble que Pôle emploi ne sache pas répondre réellement au besoin, soit par manque d’identification dans ses bases des personnes handicapées [3], soit parce qu’un certain nombre de personnes ne veulent pas se déclarer handicapées. On l’a vu plus haut, ça peut être à double tranchant, à cause de ces fameuses « difficultés perçues » qui finissent par faire craindre qu’on ne résume tout le problème à la simple équation « handicapé = oulàlà non ».
Il ne faut pas se leurrer, il peut y avoir aussi un problème de formation. Certains types de handicaps sont moins propices à suivre une scolarité normale et supérieure (par exemple en cas de dépistage tardif et de manque d’accompagnement, en particulier pour les handicaps de perception), et ça se ressent forcément au moment de chercher un emploi. Inversement, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : le fait d’être handicapé ne conditionne pas systématiquement un manque d’études.
En revanche, il y a de plus en plus de « places de marché » pour mettre en relation recruteurs et candidats : des salons du travail handicapé, des éditions spéciales des journaux gratuits truffées de petites annonces de toutes les grandes entreprises qui sont bien en mal de remplir leur quota, etc.
Enfin, quoi qu’il arrive, nous avons la chance en travaillant dans le web d’être dans un domaine où, de toute façon, la plupart d’entre nous n’ont pas un diplôme lié à ce domaine. Il n’y a donc pas plus de défaut de formation pour une personne handicapée que pour une personne sans handicap.
Quand on recrute pour le web, on cherche quoi ? De la curiosité, de la capacité à s’adapter à un monde en changement perpétuel (et là, c’est garanti, être handicapé donne de la ressource), de la passion. Le handicap ne doit pas être un frein pour le recrutement.
Ne pas proposer certains emplois, est-ce un genre de ghettoïsation ?
Puisque nous en sommes à discuter librement des tabous, posons la question : peut-on proposer n’importe quel emploi à n’importe qui ? Hé bien non.
Poser des câbles quand on est en fauteuil, être téléacteur quand on est sourd, être livreur quand on est aveugle, disons-le tout net : ce n’est simplement pas possible.
Mais finalement, regardons les personnes valides [4]. Ce n’est pas parce qu’une personne a deux yeux et un corps en parfait état qu’elle brigue le poste de funambule au cirque voisin, même s’il est vacant.
Le travail des RH est la plupart du temps (handicap ou pas handicap) d’apparier une personne avec un besoin. Chacun a une raisonnablement bonne perception de ses propres limites, et il serait inutile de vouloir à tout prix que tous les postes soient ouverts à tout le monde (une fois encore, handicap ou pas handicap).
Hésiter à le mettre sur son CV ?
Les avis sont partagés, comme je le disais plus haut. Certains pensent que
- leur handicap n’est pas intrinsèque à leur personne ;
- c’est préjudiciable à leur recherche d’emploi, en grande partie à cause des difficultés perçues par les recruteurs.
Quant à moi, après avoir vu ce qui se met en place dans la plupart des grandes entreprises (les « missions insertion handicap », « pôle handicap », « mission diversité », etc.), je me dis que le vent est en train de tourner.
Déjà, dans la dimension sociale du handicap : quand j’étais gamin, avoir un enfant handicapé était perçu comme une honte. D’ailleurs on ne disait pas le mot, et nombreux sont les gens avec qui je parle dont les parents disaient « il a un œil qui voit mal » (sous-entendu : il est normal, hein, l’autre voit bien), « elle entend mal » (sous-entendu : elle est normale, hein, juste un peu dure d’oreille), etc. Non, réveillez-vous : nous sommes handicapés. Ce n’est pas un gros mot, c’est une réalité pratique, et mettre un nom dessus peut simplifier grandement la vie de tout le monde [5]. Aujourd’hui le handicap est considéré comme une différence, certes, mais, selon la modalité de l’interaction, cette différence peut être atténuée, voire ne plus avoir aucune existence : il suffira pour s’en convaincre de discuter musique avec une personne aveugle, peinture avec une personne sourde. Internet a beaucoup aidé cette dé-stigmatisation : quand vous recevez un mail vous ne vous posez pas la question, vous ne le savez pas, et d’ailleurs peu vous en chaut. Après tout, que votre correspondant soit aveugle, sourd, en fauteuil roulant, malvoyant, ou rien de tout cela, il vous l’a écrit, ce mail, et rien ne peut vous faire soupçonner s’il est handicapé ou non.
De plus en plus d’entreprises comprennent qu’effectivement le handicap n’est pas un point intrinsèque bloquant, mais une des composantes de la personne, au même titre que son sexe, son origine ethnique, son caractère, son environnement socio-familial. Autant de traits qui font la complexité d’une personne et la rendent, selon les jours, plus ou moins efficace au travail.
L’important c’est ce qu’on arrive à faire, tous ensemble. Postulez, ne vous cachez pas : les employeurs veulent savoir qui vous êtes. Ils préfèrent faire travailler des gens plutôt que de bêtement payer une amende.