RER en mars

Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait une petite chronique ethnographique.

Une dame sexagénaire avec des couleurs vives d’automne (orange et marron) lit Le Figaro d’un air austère —ou hostile.

Personne ne l’y oblige pourtant.


Un type regarde son smartphone [1] et de temps en temps déclenche des vidéos. Vu son geste frénétique de bas en haut il doit regarder une timeline, sur un Facebook quelconque.

Les vidéos sont jouées à plein tube. D’abord un bruit qui ressemble au klaxon continu d’un train. Puis quelques secondes plus tard le son est coupé : l’homme a fait un peu défiler la page.

Puis à nouveau un son puissant, et peut-être effectivement le fracas de roues sur les rails en arrière plan.

Et le manège se poursuit : encore des klaxons, puis des cris, des applaudissements. À un moment je pense à une fête, comme un méchoui.

Chaque son dure cinq secondes environ, juste assez pour bien te gêner, mais trop court pour que tu t’habitues à l’entendre comme un bruit de fond.

À chaque son, je me tourne vers lui, j’essaie d’attirer son attention (on est à deux mètres, ce n’est pas difficile). Il a forcément vu mon manège —silence je lis, bruit je lève la tête— mais ne bronche pas.

Je sais que la magie des transports en commun rend la probabilité qu’il coupe le son très faible si je lui demande. Alors je vais à l’autre bout du wagon ; je n’ai aucune envie de devoir expliquer le civisme ni d’en découdre s’il regimbe.

Comme on dit, ce sont les plus gênés qui s’en vont.


Je commence le Journal d’un homme heureux de Philippe Delerm, qu’il écrivait quand j’apprenais à bloguer. Me revient l’envie de raconter des jolies choses.

Les petits bonheurs sont mis en sourdine quotidiennement par la fureur d’une époque en colère permanente.


Dans le train du retour, debout prêt à sortir, je vois les chemins qui sont blancs de l’eau qui reflète le ciel pâle de fin d’après-midi d’automne (oui, c’est souvent l’automne en mars en région parisienne).

Me revient l’expression de ma mère, « à blanc d’eau », utilisée quand il pleut tellement fort que l’eau rebondit sur le sol, ce qui crée une couche blanche un peu opaque de quelques centimètres. J’aime bien.

À la suite remontent dans mes souvenirs les bottes vertes (chez moi on dit toujours « les bottes de chasse »), les promenades embourbées, l’air juste légèrement piquant et frais, et qui sent le champignon. Et puis le RER arrive à destination, on repart marcher sur le bitume dans l’anonymat sérieux de la grisaille. Les bottes attendront, tant pis.

Notes

[1Il existe une traduction de smartphone que j’oublie à chaque fois.

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