Je vous invite, pour lire ce qui suit, à commencer par lire l’article de Tristan Nitot, intelligent comme toujours, Questions sur l’avenir du Web.
Il s’y mélange un certain nombre de concepts, et comme j’ai les mains dedans ces temps-ci, je me permets d’y répondre et de clarifier certaines choses.
La vidéo en ligne
Débarrassons-nous tout de suite d’un serpent de mer avant de reparler du reste.
Le commentaire de Lanza indique que <object type="application/ogg" data="ma-video.ogg"></object>
permettrait (permet ?) de dispenser simplement de la vidéo via HTML.
Certes, mais le besoin de nouveaux éléments HTML comme <video>
ou <audio>
montre bien que <object>
ne tient pas ses promesses.
Ce serait méconnaître l’histoire que de ne pas savoir que c’est à cause des lourdeurs d’implémentation (demander à un seul tag
de tout faire) qu’en son temps l’élément <img>
a été introduit.
Si les incarnations les plus visibles de la vidéo sur internet ont délaissé Real et QuickTime au profit de Flash et de son format FLV, c’est avant tout pour des questions de simplicité. Qui n’a pas passé des nuits à encoder dans tous ces formats me jette la première pierre.
Je suis pour les standards, qui sont une des raisons pour lesquelles je fais ce métier (sans l’ouverture du web, jamais je n’aurais pu l’apprendre), mais object
n’a pas tenu ses promesses.
Ce serait un peu comme de dire que pour la 3D on a VRML et que c’est bien suffisant, j’ai l’impression.
La carte séduction
Tristan a absolument raison quand il dit :
Microsoft et Adobe jouent les cartes habituelles des éditeurs de plateformes propriétaires : ils investissent massivement pour séduire une clientèle qui va devenir captive à terme, car pris dans la nasse.
Je suis d’accord, et j’en constate les effets quand je vois les yeux qui brillent des décideurs avec qui je suis en contact.
Maintenant, c’est le jeu du commerce. Agiter des épouvantails ne séduit pas une entreprise. Faire des machins qui donnent l’impression de tourner tout seuls en faisant des arbres de Noël, ça, ça séduit les décideurs.
Nous allons devoir, pour convaincre que Flex ou Silverlight ne sont pas la panacée, montrer que les standards sont ce qui rend le web pérenne (on est encore d’accord), et notamment ce qui garantit son interopérabilité.
Quid, par exemple, de Silverlight et de Flex sur les téléphones portables, le nouvel eldorado des décideurs de prestations liées au web ?
Des cibles différentes
Là où mon point de vue diverge avec Tristan c’est là-dessus :
A l’inverse, quand on investit dans le Web, on a une pérennité du contenu qui est sans commune mesure, car personne ne contrôle le Web ouvert.
Oui mais là Tristan tu te trompes de cible [1]. Investir dans Flex ou Silverlight, ce n’est pas toujours avec une vocation de pérennité.
Je travaille en ce moment presque exclusivement sur les applications riches (Flex et Ajax en particulier). Oublions un instant Ajax, qui du point de vue de ma chapelle (l’accessibilité), a bien du retard sur Flex.
Les arguments des décideurs pour choisir Flex plutôt que de faire des pages en HTML sont les suivants :
- les allers-retours client-serveur se voient moins, c’est bien agréable (plus fluide en termes d’expérience utilisateur)
- ça bouge puisque c’est du Flash, c’est sexy
- ça se développe assez facilement puisqu’on s’appuie sur des compétences qu’on a déjà (Action Script, Java/JSP, XML pas trop difficile à écrire, débogage et intégration dans éclipse)
Et ça on ne peut pas le nier. Pour eux, ces arguments, à court terme (facilité d’implémentation, aspect sexy) comme à long terme (réutilisation de compétences déjà implantées chez tous les grands comptes), sont de taille.
Va promettre ça en HTML, c’est impossible. Un truc à base d’Ajax, accessibilité mise à part ? L’équipe spécialisée en RIA avec qui je travaille pouffe dès qu’on lui parle d’animations, qui mettent très vite à genoux les navigateurs à cause de leurs grosses demandes de ressources. Flash est fait pour ça, qu’on le veuille ou non : l’animation c’est son travail.
La pérennité du contenu ? oui, mais les applications Flex s’en foutent : elles ne sont là que comme incentives. C’est sexy et ça donne au visiteur une impression plaisante, impression qui peut assez facilement se traduire en taux de conversion important.
La pérennité du contenu ? oui, mais un site de vente, lui aussi, s’en fout : comme vous le savez je travaille chez un fournisseur de téléphonie, combien de temps restent en vente les téléphones portables avant d’être supplantés par les nouvelles gammes ?
Ce ne sont, simplement, pas les mêmes cibles qui sont visées. D’un côté du sexy animé (court terme et marketing), d’un autre de la stabilité et de la pérennité (« contenus » au sens noble).
Je ne parviens pas à être inquiet par les effets d’annonce des géants Microsoft et Adobe : Flash existe depuis des années, et pourtant le web reste composé majoritairement de sites de contenu, pour qui le HTML reste le fondement ; le format WMV existe depuis des années aussi, et pourtant il n’est pas majoritaire sur internet alors que Microsoft est très largement leader des plateformes bureautiques autant que des navigateurs et qu’on aurait pu craindre une évolution en adéquation avec leurs parts de marché.
Conclusion
C’est là que nous nous rejoignons :
Par contre dans une perspective où c’est le Web tout entier contre deux plateformes propriétaires, alors les dés ne sont pas jetés, et le bien du public peut encore l’emporter.
Exactement. Les animations Flash/Flex auront leur utilité (exposer une carte géographique avec une progression des frontières au fil des âges, sélectionner des critères de choix dans une boutique pour filtrer les produits, simplifier la gestion du glisser-déposer pour se rapprocher du modèle ergonomique des postes de travail [2], etc.), Silverlight est un outsider et je ne sais pas quoi en penser, mais au final le web tout entier est toujours, à ma connaissance, un truc basé sur HTML.
Peut-être que je suis un grand naïf, mais j’ai quand même l’impression que notre culture est encore très basée sur l’écrit.
Au final, on est quand même d’accord [3].