Il est debout devant une poubelle, avec sa grosse barbe toute grise et broussailleuse, ses vêtements élimés dont on finit par se demander s’ils ont jamais connu des jours meilleurs, la casquette qu’avaient les grand-pères quand j’étais enfant vissée sur la tête au point de cacher ses sourcils. Il gratte un loto quelconque, dans l’espoir sans cesse renouvelé de gagner, mais pas dupe du résultat, comme un « on ne sait jamais », loin du glamour surexcité des casinos dans les films, loin des exclamations, au-dessus de sa poubelle.
On n’a pas toustes les mêmes chances dans la vie.
Il marche sur le quai du RER d’un pas asymétrique, en pente pour ainsi dire. Un pas sur deux demande visiblement un effort pour se hisser sur la jambe gauche après être descendu sur la jambe droite plus courte. Je le double et je l’entends souffler à chaque pas, on entend bien que c’est pénible de simplement marcher. Son visage m’évoque Ron Perlman, et par association d’idées (pas forcément charitable, mais ça ne se commande pas) me vient à l’esprit le Salvatore du Nom de la Rose.
Et moi, guilleret comme un dimanche, je sais qu’à l’arrivée m’attendent des sourires et un bon restaurant.
On n’a décidément pas toustes les mêmes chances dans la vie.
Je me demande comment font les gens pour cacher leur vie ; je dois le réapprendre après des décennies de blog et de réseaux sociaux. Il faut réinvestir sa sphère privée.