Notes de plage

Des gros seins (c’est bon pour les moteurs de recherche) et un peu de lectures d’été.

(notes prises au milieu de juillet, sur un carnet — le temps de retaper s’est allongé plus que de coutume)

Une femme aux seins rares, aux seins improbables, aux seins formidables comme les armées d’Alexandre.

On suppose que quand elle se mettra debout on découvrira leur mollesse, qu’ils iront à contre-sens faiblement et lourdement comme les gros seins qu’ils sont. Or pas du tout : ils rebondissent nerveusement.

La plage entière, hommes et femmes, retient son souffle. Il n’y a même pas trace de désir, tout le monde reste juste les yeux rivés sur eux, incrédule.

Une autre femme, que la décence empêche de s’écrier, dit tout de même à voix haute et intelligible : « impressionnant ».


Deux adolescents s’éloignent de leur groupe (une colonie ?), vont se cacher entre les rochers bas qui font le pied de l’hôtel de la plage. Ils passent dix minutes à chuchoter, maladroits, à un mètre l’un de l’autre. Débuts touchants, qu’ils auront sûrement remplacés dans quelques années par l’habitude de la drague routinière. Elle sourit, mal à l’aise, l’œil au loin. Comme toujours c’est le garçon qui doit faire les manœuvres que pourtant tous les deux souhaitent voir aboutir.

Enfin, au bout de ces longues minutes qui sont autant de calvaires qu’avec le recul ils trouveront un jour délicieux, on les voit repartir bras dessus, bras dessous. Ils ne se sont même pas encore embrassés goulûment. Chaque chose en son temps.


Un autre couple s’est formé dans le même groupe, allongé chacun sur sa serviette. Le promeneur sur la plage les voit couchés en chien de fusil dans le même sens, mais n’osant pas pour l’instant être au corps-à-corps. Le garçon caresse doucement l’épaule de la fille, consciencieusement. Elle fait l’indifférente.

Le même promeneur repassant dans l’autre sens quelque temps plus tard verra que la main caresse maintenant, d’un air de ne pas y toucher, le creux de la hanche et la bosse des os du bassin.

Hardi, petit. Ce premier frisson ne se vit qu’une fois, profites-en bien.

La plage est comme un petit monde, des vies en raccourci qui ne peuvent pas se cacher.


Pendant ce temps, j’ai lu en une semaine L’auteur, l’auteur de David Lodge, que Steph avait acheté sur un coup de tête dans une librairie pour le délaisser très vite par ennui, alors qu’elle est toujours captivée habituellement.

Il faut dire que le début est laborieux, pour la première fois chez lui. Peut-être qu’il est intimidé par son sujet : commencer pendant l’agonie de Henry James, remonter à ses tentatives, au milieu de sa vie, de se détacher de l’écriture de romans pour se lancer dans le théâtre, renoncer à ses ambitions, revenir à l’écrit pour sa période la plus prolifique, puis finir sur l’agonie.

Le début est lent, l’ambiance est sombre ; la maison attend l’heure fatidique. Puis quand on repart dans le passé les choses s’agitent, et je suppose que le style écrit se veut proche de celui de James, mais que, ne l’ayant jamais lu, je rapproche de Jane Austen ou de Kazuo Ishiguro (dans Les vestiges du jour). C’est beau, royal et empesé comme un film de James Ivory, si vous préférez.

Nous attendions un « bon vieux David Lodge », autrement dit un roman spirituel, amusant, pétillant. L’impatience des cinquante premières pages vient de là. Une fois ce préjugé oublié, on se prend au jeu : Henry James va-t-il réussir sa seconde carrière, tandis que dans la fiction la nouvelle génération prend le relais (H.G. Wells, Robert Louis Stevenson), et qu’au théâtre Oscar Wilde brille en société et « épate le bourgeois » ?

C’est un roman lent, qui prend son temps, un « roman psychologique » comme on disait, où l’on finit par oublier la tentative de fidélité biographique maniaque, pour ne plus entendre qu’un récit tragique et attachant d’un auteur précieux, un de ces dandys dont l’Angleterre bourgeoise de la fin du XIXe siècle avait le secret.

Deux jours après l’avoir fini je reste fasciné, je vois encore visages et costumes, j’entends encore les accents, et je félicite in petto l’excellente traduction de Suzanne V. Mayoux qui nous fait oublier que le livre a été écrit en anglais tant elle est naturelle.


À peine refermé, ne voulant réveiller personne le soir venu avec le cliquetis d’un clavier, j’ai ouvert The Haunted House, recueil de nouvelles de Virginia Woolf. Depuis le temps que je me gargarise de stream of consciousness, je devais bien finir par lire un de ses livres. Elle est forte : un recueil de 1944, qu’on perçoit encore de nos jours comme une écriture d’avant-garde. Je ne sais pas encore si j’aime, mais l’expérience ne laisse pas indifférent.

Une nouvelle, notamment, An unwritten novel, m’interpelle : la voix intérieure de l’auteur (ou d’un auteur lui-même fictionnel) décrit une femme dans un train et invente sa vie, les noms mêmes des gens qui l’entourent ; la voix revient, se fourvoie, se reprend, repart dans une autre direction.

Je pense à ces notes prises sur la plage, aux portraits que je notais dans le train quand j’étais étudiant. Je le disais tout à l’heure : pas indifférent.

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