J’ai souvent trouvé que la journaliste Elisabeth Quin avait un drôle de regard, une façon qu’ont certains myopes de fixer les gens. J’apprends que c’est une histoire de glaucome en évolution.
Entre 400.000 et 500.000 personnes sont atteintes de glaucome en France. Certaines ne le savent pas ou le découvrent trop tard. "Je ne me vois pas avec une canne blanche", lance la journaliste âgée de 55 ans. "Je fixe les choses avec encore plus d’ardeur. J’essaie de ne pas perdre de temps, j’essaie de me concentrer sur les oiseaux, le ciel, la lumière, les visages, les livres que j’aime, les gens que j’aime et le métier que je fais et que j’aime", confesse-t-elle avec émotion.
Note liminaire : on pensera ce qu’on veut de « ne pas se voir avec une canne blanche », c’est un aspect du handicap très personnel. Je connais quelqu’un qui, faute de canne, a galéré des années, mais n’était pas encore prêt. Moi je le suis, tout comme j’ai adopté rapidement les appareils auditifs parce qu’on vit mieux avec que sans, et que mon « image de moi » s’accommode bien de mes handicaps. Mais je peux comprendre ces réticences.
Ce qui me frappe en tout cas, c’est cette réaction, que j’ai eue quand j’ai appris pour ma malentendance [1], le premier choc passé : cette prise de conscience de notre mortalité, et en particulier avant elle la conscience aiguë de la fragilité de nos sens. Dans le meilleur des cas, comme chez Elizabeth Quin, elle va de pair avec une avidité, une envie de fixer toutes ces sensations en ne sachant pas pour combien de temps encore on les ressentira.
Écouter ses sens, et les ressentir intensément, le plus souvent et le plus tôt possible.