Il y a un mois, le premier mars, après moult pérégrinations (un serveur mail qui me prend pour du spam, des rendez-vous manqués, etc.), j’ai adopté un petit chat.
Enfin pas complètement petit : il a déjà un an. Officiellement il est né depuis le premier mars 2019. En vérité on n’en sait trop rien, c’est un chat des rues, comme paraît-il il y en a en nombre à la Réunion. Sa queue a vraisemblablement été coupée par une hache ou une machette, il a été sauvé et soigné alors qu’il commençait à se nécroser. Une association l’a envoyé en métropole, pour être adopté, et voilà, nous l’avons rencontré quelque part en février.
Avant l’adoption, la gentille dame de l’association me donne le nom des trois chats cherchant preneur qui sont hébergés dans la famille d’accueil où nous sommes passés (le Moustache Café, un bar à chats dans Paris que les enfants et moi affectionnons depuis son ouverture). L’un des trois est vraiment très beau, je dis à mes enfants que mon cœur balance, mais non, ils soutiennent que Max, quand même… il a dû tellement être malheureux qu’on veut le prendre sous notre aile, lui donner plein d’amour et tout et tout.
Je me range à leur coup de cœur, il m’en fallait peu pour pencher vers lui, pour les mêmes raisons — même si j’étais un peu frileux sur sa jeunesse (donc une grande envie de jouer à prévoir) et l’indication qu’il serait plus heureux avec un autre compagnon, ce que je ne peux pas organiser dans mon appartement.
Bref voilà Max arrivé chez nous le premier mars. Joyeux anniversaire le chat !
Il est marrant, il fait forcément des bêtises au démarrage (les pipis sur les couettes le temps de prendre ses repères), et il est câlin que c’en est terrible. Si on s’accroupit à l’autre bout de l’appartement il trottine pour venir ronronner et se frotter. On l’a bien vite adopté pour de bon, dans le quotidien !
Mais-mais-mais, il n’a pas de queue ; ou plutôt il lui reste un moignon, à ce petit chat. La dame m’a dit : « Vous savez, j’ai eu des chats sans queue, ils vivent tout à fait bien ! »
Bé heureusement encore.
Cependant, au fil du temps, j’ai constaté qu’il n’est pas aussi à l’aise que les autres chats que je connais. Il saute un peu moins haut, se reçoit avec moins d’assurance sur le rebord de l’évier ; il tombe plus fréquemment en jouant ; il a du mal à se réceptionner certaines fois (nous ne le laissons pas sauter depuis nos bras à hauteur d’homme, nous fléchissons les genoux pour lui fournir un marchepied à mi-chemin). Et même, de temps en temps, il hésite et renonce à faire des sauts que d’autres chats feraient.
Il y a quelques jours, je percute : ah mais en fait mon chat est handicapé ! La queue-balancier en moins, ça change un peu sa vie.
Dans mon travail je passe mon temps à dire aux gens que le handicap n’est pas un trait intrinsèque des gens, et qu’il ne s’applique que sur certains contextes (la fameuse « situation de handicap »). Le chat est en situation de handicap pour faire les acrobaties habituelles des chats, mais n’est pas en situation de handicap pour grimper sur le lit, faire le fou avec les pieds sous la couette, chasser une souris en tissu sous un meuble, se régaler de pâtée et de câlins.
Alors bon, moi aussi j’ai des handicaps. Je ne le vois pas zigzaguer devant mes pieds, j’ai déjà dû mettre en place une stratégie de mobilité pour éviter de lui mettre des coups en marchant. Ça arrive encore, rarement, et chaque fois je me jette sur lui en m’excusant niaisement et en le couvrant de caresses une fois que je me suis assuré qu’il va bien. Aussi, il a bien dû comprendre que je n’entends pas son miaulement une fois sur deux, il a commencé à moduler un peu : on est passé d’un petit « miiii » à un « mouinnn » plus affirmé.
Bref, moi qui ai des handicaps, je le regarde et je constate qu’on s’en fout royalement, lui et moi, de tout ça. On cohabite, on s’enrichit, on s’entraide dans notre petit monde plein d’affection. Et c’est rien chouette, tout ce qu’on est en train de vivre.