Moments de respiration

Les gens ne respirent pas assez. Une seconde de plus, un livre, un petit rien. Sourire contre le qu’en-dira-t-on ?

Une jeune femme s’apprête à descendre. Elle a un teint très légèrement mat, uniforme, comme celui qu’on prend en bronzant à l’ombre languide. Une queue de cheval très sage, tirée juste comme il faut au tiers de la hauteur du crâne, des cheveux unis, bruns, presque lisses.

Elle porte un t-shirt très simple, blanc, un pantalon de jean tout aussi simple, du bleu canonique vaguement délavé, un gilet en coton aussi lisse que ses cheveux, beige et visant à l’anonymat.

Elle descend là et comme souvent, sans pouvoir me l’expliquer, j’entrevois dans sa banalité parfaite une pureté qui fait penser que le beau est toujours là.

Je pense à une phrase de Muriel Barbery dans L’élégance du hérisson que je suis en train de finir :

C’est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent.

Un trentenaire à côté de moi lit La huitième couleur de Terry Pratchett, un de ces livres qui sont un éclat de rire d’une couverture à l’autre. Pantalon beige, chemisette bleu clair, le poil brun mais rasé de près, les lunettes et le sac informatique qui vont bien ; le premier de la classe devenu adulte.

Comme j’ai passé dix minutes à sourire aux entrechats de la concierge et de la petite fille, je lève le nez et je découvre que l’effet Pratchett est toujours là : mon voisin de train sourit malgré lui. Ça ne cadre pas avec le personnage, mais la magie du roman opère, et c’est tant mieux.

La vie, mon vieux, la vie !

Et puis plus près de la maison, des arbres protègent légèrement notre rame, et comme je ne vois que de l’oeil qui est de leur côté, je regarde ce que j’écris comme éclairé par un stroboscope, et j’ai l’impression d’entendre chaque passage ombre/lumière/ombre : blobloblobloblob.

Du coq à l’âne, je pense aux splendides onomatopées de Franquin, qui est l’un des plus grands artistes du son écrit. Avez-vous seulement remarqué que ses onomatopées sont toujours écrites pour être prononcées, et qui plus est qu’elles ont un très fort potentiel burlesque ?

Du coq à l’âne à nouveau : ce matin une dame a pris une seconde de trop avant de passer les portiques de sécurité qui confirment que l’on a payé son voyage, un monsieur lui dit « Pardon » sur un ton qui sent le « Pousse-toi grosse vache. » Pas dupe du mot puisque sensible au ton, elle se retourne et lui dit « Vous permettez, monsieur, je suis perdue, vous pourriez être aimable. » Dans un souffle, le monsieur se retourne (car il l’a déjà doublée), et se fend d’un « J’ai été poli, j’ai dit pardon, » d’un air qui tombe sur la fin de la phrase, et on entend dans sa prosoodie un « Je t’emmerde. »

Je repense à eux ce soir, je me dis qu’à choisir il vaut mieux se payer le luxe suprême d’attendre une seconde de plus et d’être gracieux. On mourra tous bien assez tôt, pas la peine de se précipiter et encore moins de se faire de bile.

PS : on n’écrit en se tirant vers le haut que parce que d’autres montrent la voie. Mes hommages bien bas à Karl et Muriel Barbery.

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