Et toujours ces formes humaines, anomynes et hostiles malgré elles, qu’on frôle avec insistance (je devrais dire « contre lesquelles on pousse de la pointe du coude en se donnant l’air de ne pas le faire ») pour se frayer un passage hors de la rame : si je ne peux pas descendre, tu ne peux pas monter.
Ces êtres sans essence qui pourtant ont évidemment chacun son histoire, ses soucis, et qui en retour me trouvent sans doute tout aussi hostile du simple fait que je suis un obstacle sur leur chemin.
Cette dame que je croise qui s’est fait des cheveux rose trémière pour faire un peu la jeune, mais dont deux centimètres de racines grises cassent l’effet.
Celle-ci qui boîte et s’appuie sur une béquille à main droite, monte dans la rame, soulève la béquille et marche normalement jusqu’à un siège, mystère immédiat et à jamais irrésolu (on ne va quand même pas aller lui demander le détail de son handicap).
Ces trois jeunes femmes, bercées de l’idée (dont elles se déferont en vieillissant) qu’elles expriment leur personnalité en ayant toutes les trois les mêmes lunettes rondes à bord épais qui sont à la mode en ce moment, les cheveux longs et sombres, sans franges, qui tombent alternativement d’un côté ou de l’autre en fonction de l’humeur ; le look absolument interchangeable entre les trois.
Attendre d’être sorti du fracas et des grincements imprévisibles pour mettre mes appareils auditifs, se retrouver dans la rue et se demander quoi attendre de cette journée. Se dire confusément qu’on a quand même, de tout ça, tiré une phrase ou deux à peu près potables, et jouer deux secondes avec l’idée qu’on est comme un écrivain et qu’on a le droit de se faire plaisir en se jouant cette petite musique de la langue. Rendre tout ça moins dénué de sens, d’une certaine manière.