Note pour les générations futures : j’écris ces lignes pendant qu’au parti socialiste trois candidats possibles ont décidé de se faire choisir par la base de leur parti, et font donc des présentations, l’un après l’autre, devant des pupitres, comme un jeu télévisé. Au même moment la droite se déchire sur le thème de « c’est moi le plus sécuritaire », avec une dose de « j’y avais pensé avant toi ». Quant aux poujadistes, ils pérorent déjà à l’idée que 2002 était une bonne année et que 2007 pourrait les voir jouer rebelote.
Un peu d’étymologie
Dans un pays post-industriel (ou en phase de perte complète de son industrie), on ne se soucie plus guère de ses racines... et du même coup, par analogie, on s’accommode assez bien des acceptions modernes des mots, quitte à en inventer [1].
L’exemple qui m’occupe aujourd’hui : campagne ! Tout le monde « fait campagne », oubliant par là-même que cette expression vient sûrement de « battre la campagne ». On reste au chaud dans un studio ou sur l’estrade d’une salle de spectacle, et on oublie qu’il fut un temps où battre la campagne, c’était se déplacer, se remettre à l’épreuve du monde réel où les accidents arrivent, où l’on est tributaire des intempéries, où l’on est face à une foule qui pour de bon a faim ou froid et, surtout, le fait savoir bruyamment.
De la campagne à la nature
Partant, par ailleurs, du principe que la nature a plus ou moins disparu de tous les débats depuis que la question était monopolisée par le « problème paysan » d’après-guerre, problème systématiquement résolu par des subventions tartuffes, on a fini par ne plus voir qu’au travers de la crise paysanne, c’était plus globalement notre rapport à la nature qui s’amenuisait.
Pour ma part (nous y voilà), je vote au premier tour depuis quelque quinze ans pour les Verts, une façon comme une autre d’espérer qu’au deuxième tour les candidats intégreront mes préoccupations dans leur programme, voire (on peut rêver) dans leur politique une fois élus.
À tout le moins, je continuais d’espérer, faute de leur ouvrir les yeux, qu’un sursaut démagogique les forcerait à intégrer l’écologie, peu ou prou. Vous voyez comme je suis réaliste —pas rousseauiste quand même, je n’aurais pas cette naïveté...
La Realpolitik ?
Entendons-nous bien : je ne suis pas un doux rêveur, je sais par exemple qu’il y a un « problème dans les banlieues » (pour reprendre l’expression consacrée), mais qui est loin de se résumer à une opposition entre des jeunes imbéciles incendiaires et des forces de l’ordre [2].
Mais le problème n’est pas une question de surface (les destructions et les bagarres organisées, aussi tristes soient-elles), c’est une question de personnes désoeuvrées et désespérées. La question que cette violence nous pose c’est : qu’est-ce que je vais devenir ? Dans un pays où l’agriculture est moribonde, où l’industrie n’existe presque plus puisqu’on délocalise à tour de bras, où même le tertiaire pratique l’offshoring [3], il ne reste pas beaucoup d’espoir à une population de plus en plus large de trouver un jour un travail convenable.
Passons, si vous le voulez bien, sur ce problème, aussi prégnant soit-il. La vérité, c’est que même cette crise est à court terme, à l’échelle de l’humanité (et encore plus évidemment à l’échelle de la terre), et que certains optimistes parmi mes connaissances veulent même croire que c’est cyclique et que le travail reviendra, quand on constatera que la délocalisation n’est pas toujours à hauteur de la qualité de produit fini espérée.
Il restera, dans tous les cas, une planète moribonde.
Et ça, quand vous arrêtez de regarder le nombril de votre électorat, vous y répondez quoi, à ça ?
Court terme et charge du pouvoir
La politique du très court terme, doublée le plus souvent de promesses de principe à encore plus courte vue électoraliste, entraîne notre planète à sa perte. Quiconque a déjà pris l’avion pour aller de l’autre côté de la planète sait combien, en réalité, elle est petite.
J’entendais ce matin une chronique sur France Inter, que je n’ai pas notée, dans la brume qui me caractérise avant neuf heures, et qui disait que tous les candidats, c’est une première, abordent l’écologie dès maintenant.
Trois mois plus tard
Saut dans le temps : j’ai écrit les lignes qui précèdent il y a déjà trois mois. Depuis il ne reste plus qu’un candidat socialiste, il y a quatre ou cinq « gauches révolutionnaires », rien ne change à droite. Mais un certain nombre ont au moins écouté Nicolas Hulot, voire signé son Pacte Écologique. Alors peut-être que je vais les écouter un peu, pour changer.
En marchant dans ma modeste campagne de région parisienne, en entrevoyant le héron qui niche dans la rivière que je longe tous les jours, je pense à ma fille qui a deux ans et demie, et à mon fils de deux mois, et je me dis que tout reste à faire, maintenant qu’on a bien tout cassé les jolis jouets que la nature nous a offerts. Ah oui, j’oubliais : et puis que je n’ai plus du tout confiance en la classe politique, définitivement. Rendez-vous dans trois mois pour voir quelle promesse vous tiendrez.