Jean Echenoz, je vous en ai déjà parlé. Il a une façon d’écrire qui fait penser au Nouveau Roman, une fausse impression de neutralité de style qui cache en fait une richesse avec l’air de ne pas y toucher, des fulgurances et des surprises inattendues au coin des paragraphes.
Par exemple, dans Les grandes blondes, quand Personnettaz se regarde dans un miroir :
[…] Personnettaz se vit pareillement vieillir. Du fond du cœur il n’a jamais pensé qu’une chose pareille lui arriverait, jamais. Ne l’a même pas envisagé. Procédant comme si de rien n’était, comme si cela ne le concernait pas, comme s’il n’était même pas là, il a dû vaguement escompter que le temps l’oublierait. Or le temps l’a rattrapé dans son dos, grossissant à vue d’œil dans le rétroviseur et s’apprêtant à le dépasser.
Je voudrais souligner une phrase que je ne le pourrais pas, c’est toute la séquence qui se lit d’une traite — mais posément, attention : prends le temps de savourer les expressions l’une après l’autre comme des confiseries.
Un exemple typique de l’écriture d’Echenoz ci-dessous :
Tous en effet portent des montres ; tous, le plus tôt possible, à l’occasion d’un examen, d’un anniversaire ou d’une fête civile ou religieuse, ont été menottés au temps ; tous observent à quelques secondes près le même phénomène de bientôt quatre heures vingt. Personnettaz dit qu’on s’en va. On s’en va.
Deux traits caractéristiques dans cet extrait :
-
tous, le plus tôt possible […] ont été menottés au temps
: raccourcis et rapprochements de notions qui n’ont habituellement pas de lien, poétique des images ; -
Personnettaz dit qu’on s’en va. On s’en va.
: discours qui sonne comme de l’indirect libre mais qui est en fait narratif. « On s’en va » n’est pas la transcription d’un dialogue mais bien l’action, comme si Echenoz lui-même, et nous avec lui, avions été là et avions suivi l’injonction.
Est-ce que c’est ça qui me fascine ? Sans doute, oui, ainsi que sa capacité à raconter des histoires avec une très petite trame mais ça fonctionne, il nous promène, avec force détails et jeux poétiques. Cette notion de « musique de l’écriture » que j’évoquais il y a peu m’est venue alors que je n’avais pas encore fini ce livre. C’est une des grandes particularités de cet auteur : une musique très personnelle.
Comme tous les autres romans de Jean Echenoz, Les grandes blondes est trop court. On pourrait le lire encore pendant des heures. Comme chacun des autres romans de Jean Echenoz, je le range précieusement, me promettant de le relire dans un lointain futur.