Après n’avoir entendu que du bien de cet album, c’est mon tour d’hurler avec les loups.
J’avais pourtant prévu de jouer le blasé, dans le genre frabien [1] pur souche, dénoncer la frénésie sans surprise pour un auteur déjà mille fois trop encensé, protester, défendre les jeunes auteurs à qui ce succès vole des pages dans les revues qui daignent parler de bande dessinée. Mais non, je me trompais. Bilal a retrouvé une seconde jeunesse, pour ainsi dire. Autant Froid Equateur ne m’avait pas transporté, autant, effectivement, il y a ici de quoi se réjouir.
Ça rebondit comme dans un film d’espionnage, sans arrêt, ça cherche des échos du côté historico-politique, et ça les trouve. On "entre en résonance" avec notre époque, pour une histoire censée se passer dans le futur qui cristallise un certain nombre d’inquiétudes ou de points d’ombres de l’Histoire de cette fin de siècle en Europe Centrale, comme quelques années auparavant Partie de chasse.
Le dessin n’a jamais été aussi plein de matière, chez Bilal. Il a perdu en froideur, tant au niveau des couleurs, de plus en plus franches, que du trait lui-même. Bilal donne l’impression qu’il n’utilise plus du tout l’encre, et que, comme pour ses produits dérivés, il trace tout au crayon gras. C’est dense, c’est épais, c’est convaincant.
On s’agace encore pour la raideur des personnages, engoncés dans la rigor mortis de leur auteur, on s’étonne encore et toujours des visages qui se ressemblent (j’ai toujours trouvé qu’Alcide Nikopol ressemblait à Bilal, et Nike encore plus qu’Alcide —Nike n’est-il pas, d’ailleurs, un anagramme d’Enki ?), et on s’amuse encore et encore à tâter de l’oeil la fermeté des rondeurs féminines.
...et tout cela est finalement très beau.