En faisant ma veille je retrouve encore deci-delà des endroits où les gens se gargarisent de l’idée que, je cite, « Le Web 2.0 donne le contrôle aux utilisateurs ».
Or c’est une vaste blague.
Ce que je trouve fascinant, c’est de voir l’évolution du web « fait par les utilisateurs » ces dix dernières années (et, oui, je suis un vieux con qui sort ses souvenirs de guerre).
Nos pages sont à nous, pas à nos fournisseurs de services
Il y a dix ans, quand la plateforme Mygale est devenue Multimania, et que les gens devaient subir des publicités sur leurs pages, ç’a été un tollé [1]. Comment ? On venait gentiment créer du contenu qu’on mettait à la disposition des autres utilisateurs du web, qui étaient pour la majorité eux aussi des producteurs, chacun faisant sa page dans son coin dans une bonne ambiance de bricolage et d’entraide, et le contenu que nous produisions allait servir à enrichir quelques-uns ?
Ni une ni deux, mouvement de foule, création d’hébergeurs auto-gérés, associatifs.
Allez zou, dehors le commerce, nous ne travaillerons pas gratuitement comme des esclaves numériques !
Nous étions nombreux à croire au Manifeste du web indépendant.
Dix ans plus tard, nos contenus sont ailleurs
Dix ans plus tard, nous postons tous des photos sur Flickr, tout le monde partage ses liens sur des sites collaboratifs, plein de gens publient leurs pensées sur des plateformes mutualisées commerciales, et tous ces services coûtent un fric fou. Il faut bien que quelqu’un paye, et le modèle publicitaire est un des plus rentables pour l’instant.
Je lisais un commentaire il y a peu, sur un blog (quel dommage que je ne l’aie pas ajouté à mes signets), qui disait en substance que les gens qui font encore leur site dans leur coin (et il citait notamment les gens qui utilisent Spip, donc je me suis senti visé) n’ont rien compris, et que le web d’aujourd’hui ce n’est pas ça.
Alors quoi ?
Le web d’aujourd’hui est décentralisé, me dites-vous ? Faux. Il appartient à quelques grandes plateformes d’hébergement de contenus (photos ici, vidéos là, textes là-bas).
Et les utilisateurs sont contents parce que c’est gratuit, youpi !
Mais il n’y a rien de gratuit !
J’ai malheureusement perdu de vue l’idéal du web indépendant en cédant moi aussi aux sirènes des plateformes web deux. J’ai donc ouvert moi aussi un compte ici et là, au départ pour tester les plateformes, car c’est mon travail de me tenir au courant évidemment.
Et puis, réellement séduit par le service « offert », j’ai publié pas mal de photos sur Flickr.
Mais vous êtes-vous déjà posé la question des sauvegardes de votre travail ? Ce que vous publiez avec amour, ce labeur pointilleux, comment allez-vous le récupérer ? Sur mon site (le Spip honni), je peux faire des sauvegardes, avoir un clone en local sur ma machine, et garder tout ce que j’ai fait mais (tout aussi sinon plus précieux) tout ce qu’on est venu m’y donner. Des commentaires que je relis avec plaisir, des bisous laissés, des surprises. Quid de mes données et de celles que vous êtes venus ajouter sur ces plateformes globales ?
Au final, vous êtes-vous demandé si vous n’étiez pas redevenus des producteurs gratuits de contenu qui induit des revenus pour d’autres gens que vous ?
Le web2.0 n’a pas donné le pouvoir aux utilisateurs, il a beaucoup plus finement créé l’illusion que les utilisateurs le possèdent alors qu’ils servent à sa fabrication comme autant de petites mains. N’allez pas croire que la folksonomie se fait sans que des modérateurs ne vérifient que vous ne faites pas n’importe quoi.
Levons le pied
J’ai déjà restreint ma participation à plusieurs de ces services, et je vais continuer à le faire dans les mois à venir. Réfléchissez-y : de combien de services êtes-vous tributaire ? Et sur ce nombre, combien vous permettent de partir avec les bagages ? Combien en revanche vous laissent nu ?
Allez, je vous donne quelques petits travaux pratiques : récupérez les photos que vous avez publiées sur Flickr et les commentaires qui vont avec. Allez sur Facebook, importez votre site, vos photos, etc : tout rentre, rien ne sort !
Même chez Netvibes (que j’adore parce que c’est hyper efficace) je finis par rechigner à ajouter des flux, car je ne peux pas exporter d’OPML pour pouvoir en parallèle lire mes RSS hors-ligne dans Thunderbird. (mise à jour : dans un commentaire Audrey nous apprend que c’est possible, et effectivement c’est le cas. Je le retire donc)
Et je ne vous parle pas des listes d’amis qui se répètent à l’envi d’un site web 2.0 à l’autre et qu’il faudrait rentrer mille fois, pas plus que de votre pedigree qu’il faut rabâcher jusqu’à avoir la gorge sèche.
Mon fameux « petit spip fermé sur lui-même » se porte bien, merci. Au moins ici j’ai l’impression de contrôler quelque chose.