Aujourd’hui comme souvent ces derniers temps, je suis dans le TGV, je vadrouille dans la petite France métropolitaine pour diffuser la bonne parole. Voilà donc le résumé d’une journée typique d’évangéliste de l’accessibilité et des bonnes pratiques.
Un peu d’histoire
Je suis entré par la petite porte dans le développement web, par le truchement d’Internet Assistant pour Word 95, osons le dire. J’ai donc regardé mon traitement de texte écrire pour moi un lien d’un fichier vers l’autre, et j’étais épaté de voir, là, sous mes yeux, un bout du web fait par moi tout seul avec deux clics ! Ah, enthousiasme naïf de la jeunesse [1] ! J’ai vite vu que ce n’était pas si difficile, et que même un non-technicien comme j’étais alors s’en sortirait sans problème en tapant directement le code.
Et nous voilà huit ans plus tard, quelques langages plus loin, et j’en suis toujours à taper du HTML. Rien ne change— tout change. « Tu vas t’ennuyer », disait Jean-Noël, au début. Je ne fais plus "simplement" du HTML, et je ne m’ennuie pas encore. Entretemps j’ai découvert que le web est le point de recontre de toutes mes passions :
- le graphisme (j’aime le joli, le plaisir formel/sensuel)
- le design (ne surtout pas le confondre avec le précédent : un bon design répond à un besoin d’adéquation de la forme aux besoins de l’utilisateur en tenant compte des spécificités du produit)
- la communication (au sens large d’échange)
- l’anglais (les informations sont souvent plus fraîches et plus poussées en anglais, c’est comme ça, il n’y a rien à critiquer, l’anglais est la langue internationale du siècle, comme le latin et le français avant elle...)
- l’informatique (un reste d’approche matheuse de l’existence, sans doute)
Des horaires de galérien ?
Lever à 5h30. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et habitent en banlieue ! Aucun sacrifice n’est trop important pour les croisés, la cause est noble, etc etc. Allez, je vous donne la vraie raison, si vous la voulez : j’ai trop peur de rater mon train pour me permettre un retard... Le TGV part à 9 heures, arrive à 11. Me voilà à Lyon après trois heures de transports, RER compris, pour une demie-journée de formation.
Le temps de prendre un repas avec mon chef de projet en charge de l’accessibilité du système d’information [2], et il est déjà 13 heures trente, l’heure de la rencontre avec les stagiaires du jour. Nous voilà partis pour trois heures de suite à bâtons rompus, d’enseignements théoriques sur les bonnes pratiques (notamment la séparation contenu/forme/comportement), les bons réflexes à avoir (validation du code, le voeu pieu du jour), et surtout, de vraies questions pratiques.
Trois heures qui passent toujours trop vite, et à nouveau il me faudra trois heures pour rentrer chez moi.
Vu de l’extérieur, on pourrait penser que le jeu n’en vaut qu’à peine la chandelle : se lever à cinq heures et demie pour rentrer à huit heures du soir chez soi, subir six heures de transports pour moitié moins de temps "rentable". Stéphanie le remarquait encore hier : « Mais... tu es vraiment obligé d’y aller ? »
Une rentabilité indirecte
J’ai déjà participé à des formations sur l’accessibilité, et à chaque fois j’ai été surpris par le décalage entre les consignes relayées par les formateurs et la réalité de l’exercice. Bien sûr, une contrainte des formations est le temps réduit dont on dispose : il vaut mieux alors dispenser les meilleures règles à appliquer, en espérant que les stagiaires sauront les transposer au mieux en tenant compte de leurs contraintes particulières.
En pratique, j’ai fini par ancrer chacune de mes remarques dans un contexte réel. Par exemple, chaque fois que je détaille l’usage normal des formulaires HTML, sans Javascript, etc, j’ai toujours la même réaction de la part des stagiaires : « oui mais mon patron veut une image, ici, et pas un bouton ». Il faut donc accompagner le stagiaire (et son patron, par contumace) dans une approche technique différente de ce à quoi ils sont habitués... et montrer malgré tout comment on peut mettre sans souci une image à la place d’un bouton (« le type="image"
est notre ami ! »).
Là où l’expérience est la plus stimulante, c’est quand un développeur web ne peut absolument pas se passer d’une fonctionnalité qu’il a développée, par exemple parce qu’elle réduit le temps d’interaction de ses utilisateurs avec l’application web, et ce faisant augmente leur productivité. Prenons un cas que j’ai vu récemment : trois listes déroulantes se suivent, un choix dans la première permet de peupler la deuxième, et un choix dans la deuxième permet de peupler la troisième, le tout à base d’attributs onchange
avec tout ce que ça comporte de complications [3].
Allez lui expliquer qu’il faut des formulaires sans javascript, avec des boutons "go" entre chaque liste, il vous répondra avec raison qu’il double le temps d’interaction de ses utilisateurs avec l’application : de trois clics, ils sont passés à six.
Je lui ai donc proposé une approche encore plus poussée en Javascript que ce qu’il prévoyait [4], ainsi un utilisateur handicapé disposera d’un pictogramme lui permettant de désamorcer les fonctionnalités avancées, chaque liste se verra accompagnée d’un bouton de validation du choix, et on posera sur le navigateur du visiteur un cookie pour lui éviter de devoir chaque fois repréciser ses choix ergonomiques [5].
Après quelques mois de cet exercice, je peux confirmer que votre réseau ne s’étendra réellement hors des geeks pour englober les praticiens d’une façon plus générale qu’après avoir rencontré de visu les personnes concernées. Elles hésitent alors moins à vous contacter pour des questions très ponctuelles et éminemment appliquées.
Voilà le vrai bénéfice, difficilement quantifiable, et qui dépasse de loin ce que vous aurez pu dire pendant les trois heures où votre auditoire a été physiquement présent : une relation à long terme a pu commencer à s’établir, et avec cette rencontre, la glace est rompue. Les stagiaires, une fois retournés dans leur bureau, vont oser vous appeler, et surtout ils oseront vous demander de les aider à mieux faire. Tout est gagné, à ce moment-là. Ça vaut bien le coup de se lever tôt, non ?