La crise du foot français

Alors moi, je prenais mon chocolat du matin sans me rendre compte d’une crise qui fait vaciller la Nation sur ses fondations. Je dois être inconscient.

Il s’est passé hier une catastrophe nationale dont on n’a pas idée. En tout cas je n’en avais pas idée jusqu’à ce matin, en me levant, heureux d’être le 21 juin, le jour de la Fête de la Musique.

Mais la fête est affreusement ternie. Affreusement [1]. Il semble que Nicolas Anelka a dit des gros mots. Et ça, ce n’est pas bien. Oulàlà non. Pas bien. Notez qu’en même temps, je crois comprendre qu’il n’en est pas à son coup d’essai, et qui n’a jamais juré lui jette la première pierre.

Mais attendez, ce n’est pas tout : quelqu’un dans sa hiérarchie l’a sanctionné en l’excluant. Ah mais.

Du coup hier après-midi, les Bleus ont décidé que ah non, que vraiment, que trop c’est trop. Ils ont donc refusé de s’entraîner. J’espère que, dans un esprit d’équité, il leur a été retenu une journée de salaire : après tout c’est une grève.

J’aime l’idée que les footballeurs fassent grève. Avec leur salaire, une grève d’une semaine et pouf, on aura rebouché le trou de la sécu. Faites grève, les mecs !

Or donc, ce matin à l’heure où le merleau nous escagasse le cornet en s’exclamant comme quoi la vie est belle et printanière et qu’il présenterait bien ses hommages à Madame la Merle qui fait la sourde oreille parce qu’elle n’est pas du matin [2], ce matin, donc, qui est tellement frisquet que le merleau a décidé de rester au chaud dans son duvet [3], ce matin, les informations se concentrent sur la chose la plus importante arrivée en France depuis le début de l’année : une mutinerie de joueurs de foot.

On appelle au téléphone Alain Calmat, ancien ministre des Sports du gouvernement Jospin, on le secoue un peu pour enlever la poussière, et il n’a pas de mots assez durs, d’ailleurs je le cite verbatim : Toute la France est humiliée.

Je m’en étouffe un petit peu dans mon bol de chocolat.

Toute ? Non. Mais nous y reviendrons.

Nicolas Demorand sur France Inter nous annonce que devant une crise aussi grave, il recevra Alain Finkielkraut à 8h20 pour discuter de tout ça, car seuls les philosophes peuvent démêler une crise aussi grave. Je ne sais pas pourquoi, je sens poindre l’ironie sous la jovialité bonhomme.

(ici intervient un interlude domestique dont a le secret la France qui se lève tôt pour emmener ses enfants à l’école puis somnoler dans le RER : la France qui se lève tôt, en vrai, elle somnole dans le RER)

Vers 8h30 j’ai la chance d’entendre Alain Finkielkraut. Quel génie. En deux phrases il parvient à nous faire comprendre que certains joueurs, non retenus, comme [je n’ai pas retenu le nom], parlent un Français tout à fait intelligible, et glisse dans un murmure qu’il y a moyen d’avoir une équipe de sportifs pas décérébrés.

Alors moi, entendons-nous bien. Je n’aime pas le sport, surtout s’il est télévisuel, et je n’aurai pas la folie de croire que ce qui se passe sur nos écrans a à voir avec la pratique pépère et familiale du dimanche matin où les petits garçons font les hommes devant des papas frigorifiés mais attentifs, mais je reconnais que c’est l’occasion pour un certain nombre de gens méritants et travailleurs de s’en sortir par des voies qui ne sont pas celles de l’école. On ne peut pas tous être littéraires.

Hergé pointait déjà du doigt cette situation dans Le Lotus Bleu, où un sportif disait Je suis bien content d’avoir gagné, et j’essaierai de faire mieux la prochaine fois. [4]

Entendre Finkielkraut incendier les « décérébrés », ça m’a fait pouffer. On leur demande d’être bons sportifs, pas de lire les livres de Finkielkraut. Enfin bref.

Toutes ces circonlocutions pour revenir à mon point de départ : vous savez quoi ? C’est la crise, des gens perdent leur emploi, les entreprises perdent de l’argent, même les traders perdent quelques pourcents de primes, alors vous voyez comme c’est grave ?

Alors vous savez quoi ? Du pain et des jeux, il reste de moins en moins de pain et des jeux de plus en plus éhontément dispendieux. Alors dire que toute la France est humiliée, c’est exagéré, parce que sincèrement : je m’en tamponne, mais alors, d’une force, vous n’imaginez même pas.

Dire que toute la France est humiliée quand elle coule un bateau de Greenpeace, oui.

Dire que toute la France est humiliée quand Le Pen est au deuxième tour des présidentielles, oui.

Dire que toute la France est humiliée quand Sarkozy parle de la racaille qu’il va karcheriser, et que ses ministres prennent des mesures coûteuses et démagogiques pour renvoyer dans leur pays des pauvres gens qui l’ont fui, oui [5].

Dire que toute la France est humiliée pour cette tempête dans un verre d’eau, franchement, non.

Dernière question à Alain Finkielkraut : Vous faites quoi ce soir pour la Fête de la Musique ? Il hésite : Je ne sais pas si je vais choisir la musique sous ma fenêtre ou la vuvuzela à la télé. Ah oui effectivement, si même ce choix est dur, on a du souci à se faire pour l’élite intellectuelle. Sincèrement, qui est grotesque ? (juste avant de publier, Fabien mentionne cette vidéo)

Je vais de ce pas me faire déméduller parce que ça a l’air de faire moins mal que décérébrer, mais sur le fond c’est la même chose : ça a l’air sympa comme choix de vie.

Notes

[1N’ayons pas peur des mots. Affreusement. Affreusement. Affreusement.

[2Tiens ça fait longtemps que tu n’as pas lu Desproges, ami lecteur ? C’est ma Bible laïque.

[3Voir note précédente. J’ai tout piqué à Desproges, qui n’aimait pas trop le foot. Ça force à réfléchir, non ?

[4Je cite de tête, on me pardonnera de ne pas avoir ma bibliothèque sur moi dans le train.

[5Oui, je sais, j’ai des points Godwin, allez, allez.

Commentaires

  • Eric (21 juin 2010)

    D’un certain côté : Merci.

    De l’autre, ça y est, tu as cédé à la polémique et tu as rajouté ton propre billet. Malheureux !

    Répondre à Eric

  • Fabien (21 juin 2010)

    Espérons qu’un esprit un peu critique résistera encore et toujours aux envahisseurs…

    Merci d’avoir pris le temps d’écrire cet article.

    *un peu agacé*

    Répondre à Fabien

  • Monique (21 juin 2010)

    Bonjour,

    Jusqu’à présent, nous (je veux dire les Belges) étions considérés comme les champions du surréalisme... je dois bien reconnaître que cette fois nous sommes battus !

    Amicalement,
    Monique

    Répondre à Monique

  • Cédric (21 juin 2010)

    Merci pour cette mise en perspective salutaire.

    Il est un point malheureux ou je me permets une correction. C’est que l’exemple donne par ces hommes est assimile et reproduit sur les terrains le dimanche matin, joueurs en herbe et parents accompagnateurs n’hésitant pas a manquer de respect a leur adversaire, arbitre, entraineur selon les circonstances.

    Si la polémique "sportive" n’a en soi aucune espèce d’importance, les agissements de ces pseudo-héros en dit long sur la perte de certains repères dans notre société.

    En particulier le respect de l’autre semble un concept devenu bien désuet. Mais peut-on encore s’en étonner quand on voit l’exemple donne par notre cher président ? Qui sème le vent...

    Répondre à Cédric

  • Etienne (22 juin 2010)

    De mon coté, j’ai la conviction que le problème viens de la masse (pas Lorenzo, on s’entend).

    Personnellement je me foot éperdument de connaitre les cancans des joueurs de foutcheubaul.

    Il semblerait pourtant que ces mêmes cancans mobilisent l’attention au point même que la part d’audience (f)relaté par les médias pourrais nous laisser croire qu’il ne se passe plus rien sur notre douce et si fragile planète...

    le paradoxe ne trompe pas, il faudrait encore être un tantinet capable de regarder le passer pour nous trouver quelques similitudes avec un empire romain en déclin.
    Quand une grande part de la population se complait à fermer les yeux sur un quotidien bien austère (pas Fred on s’entend) en nourrissant un besoin irascible de distraction, ça me fait flipper ; amor !

    Du coup on nous re-sert des gladiateurs sans aucune pudeur.

    Ne pourrions nous pas plutôt tenter d’arranger notre "colique écono(co)mique" avec toute ces devises qui font cinq fois le tour du monde pour revenir à l’exacte emplacement de départ, dopé comme une troupe de sportif devant un contrat de pub pour big-mac ?

    le monde tourne, mais il tourne comme une roue carré.

    Et lorsque la coupe du monde de football sera enfin terminé, messieurs, mesdames, qu’on ne vienne surtout pas me reparler de crise « majeur », de crise « sans précédent dans l’histoire de l’humanité ».
    Sans quoi je me verrais dans l’obligation de me petit-suicider une balle de fout’.

    bien a vous, et merci pour cet l’article le Steph.

    Répondre à Etienne

  • Pierre (22 juin 2010)

    Merci :)

    Cette soi-disant crise, j’en entends parler jusqu’ici (Taipei, à 10000km de Paris), alors j’imagine ta souffrance quotidienne.

    Si j’avais dû en parler sur mon blog, j’aurais sans doute employé le même vocable que le joueur exclu, les fautes d’orthographe en moins ;)

    Bon courage pour la suite (j’ai inconsciemment pris mes précautions, je rentre en France peu après la dernière déculotée de l’équipe de France, ça m’évitera de subir les semi-mongoliens qui commentent sur leur équipe nationale favorite).

    Répondre à Pierre

  • tetue (23 juin 2010, en réponse à Cédric)

    En particulier le respect de l’autre semble un concept devenu bien désuet. Mais peut-on encore s’en étonner quand on voit l’exemple donne par notre cher président ? Qui sème le vent...

    Héhé, bien vu !

    Répondre à tetue

  • RastaPopoulos (24 juin 2010, en réponse à tetue)

    En particulier le respect de l’autre semble un concept devenu bien désuet. Mais peut-on encore s’en étonner quand on voit l’exemple donne par notre cher président ? Qui sème le vent...

    Héhé, bien vu !

    1. Finkelkraut ne dit pas autre chose dans son intervention.
    2. De nos jours, les joueurs de foots, cultureux et autres personnages médiatiques ont infiniment plus de pouvoir d’exemplarité que les politiciens.

    Répondre à RastaPopoulos

  • @tchoum (8 janvier 2013)

    Quand même, on ne parle pas là de sport hein : il s’agit d’événementiel, de spectacle, pas de sport.

    Le sport c’est l’activité physique que l’on fait soi même pour soi même afin d’entretenir la physiologie d’un corps dont l’ennemi est l’immobilité.

    Comme la lecture, la pensée, la poésie et le rêve sont indispensables au cerveau pour son activité quotidienne et son épanouissement, l’activité physique est indispensable à notre corps pour son épanouissement.

    Le spectacle, lui, n’a rien à voir avec cela.

    Répondre à @tchoum

  • Stéphane (8 janvier 2013)

    @tchoum : J’aurais dû dire "je n’aime pas le sport co" et évacuer ainsi tout un tas de traumtismes lycéens :)

    Répondre à Stéphane

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