Dans le petit supermarché de la petite ville où nous passons quelques jours de vacances, on trouve très peu de bouquins, et surtout évidemment du facile. Frédéric Beigbeder est tombé malgré lui dans le rayon, auprès des autres gens digestes (Grégoire Delacourt en tête [1]). Attention, je n’ai pas dit sans talent : c’est bien plus difficile d’être lisible qu’abscons à souhait pour faire croire qu’on est trop intelligent pour être compris par la plèbe [2].
Depuis que je l’ai commencé, je m’amuse de le lire juste après La belle image de Marcel Aymé : tous les deux parlent d’apparences, tiens.
Peut-être qu’un jour Beigberger sera lu par un des rares mecs séduits par les auteurs d’il y a presque un siècle, comme moi ces temps-ci avec les Aymé, Genevoix, Alain-Fournier ; sait-on jamais.
Pour combler un vide et donner l’impression que moi aussi je réfléchis profondément alors que je ne fais que citer les autres d’un air inspiré :
Comment ai-je pu laisser les apparences dicter ma vie à ce point-là ?On dit souvent qu’« il faut sauver les apparences ». Moi je dis qu’il faut les assassiner car c’est le seul moyen d’être sauvé.
C’est du Beigbeder première période, un peu frénétique tout de même. Tiens, par exemple : il fait éclore régulièrement ses bons mots, comme des bulles de champagne, à égale fréquence et égale amplitude. On se dit qu’en 1997, peut-être moins sûr de lui qu’aujourd’hui, il doit encore faire rire et tenir autour de lui ses amis. Et donc il faut agiter fréquemment l’arbre à esprit pour en tirer toute la sève (oh, mais je me comprends).
Évidemment, la tentation serait grande de vous renvoyer aux deux tomes précédents, mais après tout, ce ne serait pas très fair-play, étant donné que ces chefs-d’œuvre romantiques ont été pilonnés peu après leur succès d’estime.
Et puis j’y suis tenté aussi, quand je suis entouré des gens que j’aime et dont j’aimerais qu’ils m’aiment aussi, un petit peu, pour quelques instants volés au silence, alors je fais le beau une fois par an : l’apéro de Paris Web est mon Flore, au milieu des verres qui se vident et des exclamations qui le remplissent (le vide). Je ne peux donc décemment pas lui reprocher.
Pour finir, j’aime un point de style que défendait Michel Audiard : il n’y a pas besoin d’être grossier, mais un gros mot de temps en temps épice le récit :
J’étais une huître peinarde dans son confort hermétiquement clos, et tout d’un coup, voilà-t-y pas qu’Alice me cueillait, m’ouvrait la gueule et m’aspergeait de citron.
Ah, j’oubliais : tu as fait au moins cinq fautes d’orthographe, cher Frédéric [3]. Oh je ne te le dis pas pour paraître plus malin que toi, non, ne va pas croire ça. Je le mentionne comme on dit à un copain qu’il a un cheveu sur sa veste noire : on pardonne tout à ses copains mais on trouve toujours l’envie de les épousseter malgré tout, comme une grand-mère frotte en pure perte le genou crotté des petits enfants.
C’est ce qui fait mon charme : j’ignore si j’en ai.