Ami lecteur, amie lectrice, si tu ne me connais pas encore, sache que je porte des appareils auditifs, la faute à une hérédité un peu lourde [1].
Quand ma malentendance, légère mais bien réelle, a été diagnostiquée, on m’a appareillé, et pour ce faire mon audioprothésiste a pratiqué un audiogramme exhaustif.
Aparté : qu’est-ce qu’un audiogramme ?
(Si vous savez déjà ce que c’est, je vous suggère de sauter directement après cet aparté.)
Un audiogramme est un examen médical qui permet de mesurer l’acuité auditive. Il consiste à vous mettre un casque audio très isolé de tous les bruits extérieurs, et d’y faire défiler des sons, à diverses fréquences et divers volumes.
Chaque fois que vous entendez un son à une fréquence donnée, on baisse le volume jusqu’à ce que vous ne l’entendiez plus, et on note le dernier seuil où vous l’avez entendu.
À la fin, on obtient pour chaque oreille une jolie courbe (voir un exemple chez Stephanie), et les creux correspondent à la perte auditive.
Fin de l’aparté
J’ai passé il y a quelques jours un audiogramme, lors d’une des visites régulières que je dois faire chez mon audioprothésiste afin de nous assurer que tout va bien, le cas échéant changer les pièces externes, bref faire une grosse révision.
Il faut donc mettre le gros casque, et patiemment, une oreille après l’autre, tester chaque fréquence.
Elle pose le curseur sur l’écran à l’endroit que j’entendais il y a deux ans [2]. J’entends. Elle le déplace d’un cran sur la droite, j’entends aussi cette fréquence-là. Et ainsi de suite.
Et puis, sur les fréquences sur lesquelles j’avais déjà des problèmes, le dialogue est à peu près le suivant :
clic
— Non.
(elle descend d’un cran sur l’échelle des perceptions, donc augmente le son) clic
— Non.
(elle descend d’un cran sur l’échelle des perceptions, donc augmente le son) clic
— Oui.
Et là, petit à petit, au fur et à mesure des fréquences testées, je vois dans mon esprit les oscilloscopes qu’on voit dans les films, où la mort d’un protagoniste est entièrement matérialisée par l’écran qui montre les pulsations de moins en moins fortes.
Je vois les repères descendre d’un ou deux crans, et je devine que petit à petit ce sera de plus en plus bas, comme une annonce de la fin lointaine mais brutalement prévisible de mon audition.
On a beau savoir que c’est ce qui nous attend tous, rares sont les gens qui voient de façon aussi précise, sur un écran, leur corps décliner lentement, inexorablement, la quarantaine à peine passée.
L’inéluctable, matérialisé.