Comme d’habitude avec Frédéric Beigbeder je suis frappé dès le début d’Un roman français par son sens de la formule. J’y reviens à la fin de cet article, ne bougez pas.
En ce moment, peut-être à cause de la fatigue mentale accumulée ces derniers mois, j’ai des illusions, l’impression que mon téléphone vibre dans ma poche. Je me sens asservi par ce qui m’entoure, par peur peut-être de rater quelque chose de crucial, un appel urgent ; un de plus. Par moments on a l’impression de maîtriser un tant soit peu ce qui nous entoure, et en réalité le cerveau reptilien n’est jamais bien loin en-dessous.
Souvent, en marchant, il m’arrive de me perdre. J’oublie où et qui je suis, je ne sais même plus que je marche ; à tel point qu’un jour je me suis endormi debout et c’est l’effet de chute qui m’a réveillé avant d’atteindre le trottoir (un « kick » comme dans Inception, en somme). Je réfléchis, j’écris dans la tête.
Par exemple sur Twitter ce matin en marchant j’écrivais une phrase, et faute de connexion, j’ai relancé mon navigateur. Je l’ai refaite en moins bien, faute d’inspiration, cette chose toujours aussi volatile.
Pourtant j’ai maintenant toujours un dictaphone dans la poche. Ça ne sert pas forcément à grand-chose (la preuve) mais ça fait plaisir. Ça « fait » intellectuel.
Enfin, lundi dernier j’ai écrit la première demie-page de mon livre. Elle est médiocre mais a au moins le mérite d’exister. C’est le moment où je mets le pied à l’étrier, en somme. Comme souvent, il faudra jeter et refaire.
Se dire que certains, comme Beigbeder, gagnent leur vie à la raconter ; tandis que d’autres, simplement, écrivent des ricochets.
Je finis tout de même par lancer sur Twitter : région parisienne, bousculades habituelles, agressivité larvée
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Et comme chaque fois que je perds foi en l’humain, encore une fois croiser une femme qui porte un bébé autour de son ventre, dans une écharpe, sous un grand parapluie de golf à deux places, et qui avec un seul petit sourire s’excuse de la taille de son parapluie et du risque de m’éborgner. À elle toute seule elle rachète les autres, au moins pour ce matin.
Le soir venu je regarde une autre jeune femme qui s’est assoupie dans le train. Elle a cet abandon d’enfant qu’on n’a réellement plus que quand on est profondément endormi, parvenu à l’âge adulte.
Je me rappelle alors comment, quand j’étais étudiant, je prenais en note des portraits des gens dans mon calepin, faute d’un talent de dessinateur ou d’un appareil photo sous la main.
Je pense que quand on voulait se faire passer pour Cartier-Bresson, avant, il suffisait d’un appareil normal pour faire illusion. Me revient alors un petit mot d’Édouard Boubat dans La photographie :
« Vous devez avoir un bon appareil ? », et j’ose à peine avouer : « Le même que vous. »
Aujourd’hui où les appareils numériques sont partout, jusque dans les téléphones, où les hybrides et les compacts grands comme une carte de crédit ont banalisé l’usage, on finit par ne pas oser prendre en photo une inconnue dans le train, de peur de passer pour un énième pervers qui mettra sa tête sur Facebook dans les minutes qui suivent. N’aurions-nous pas au passage perdu de cette douce naïveté ?
Tout est un peu confus, je note ici pour ne pas oublier, entre photo et écrit, faire des portraits et garder des traces.
Faites comme si je n’étais pas là et allez lire Un roman français de Frédéric Beigbeder à la place.
La littérature se souvient de ce que nous avons oublié : écrire c’est lire en soi.