Quand j’étais gamin, le trait principal par lequel on me définissait était la distraction. J’étais ailleurs, dans la lune, je souriais aux anges, je n’avais pas les pieds sur terre, que sais-je encore.
L’ironie c’est qu’avec le recul je sais simplement qu’il y avait deux raisons pour qu’on croie que je n’étais pas complètement là.
Premièrement, je ne savais pas si bien gérer que maintenant le fait de ne voir que d’un œil. Aujourd’hui je suis vigilant, en permanence, pour éviter de me cogner partout, de me blesser ou de blesser quelqu’un.
Enfant, j’avais l’insouciance d’un enfant. Et donc « je ne faisais pas attention. » Je me cognais contre les chambranles de portes, m’assommais contre un poteau en ciment dans la rue (avec le recul, moi aussi je trouve qu’il y a là quelque chose de très cocasse), j’étais incapable de rattraper un objet qu’on m’envoyait alors que c’est si simple pour le commun des mortels.
J’ai remplacé ces « talents normaux » par une grande vigilance, fatigante ; je fais parfois relâche et je retombe donc dans les travers anciens (si tant est que ce soient des travers). Mais cette fois-ci je les assume, je n’ai pas honte et je ne suis ni maladroit ni distrait : je suis juste handicapé, et je le vis très bien, merci.
Deuxièmement, j’avais d’autres choses à penser. Adolescent par exemple, je me rappelle avoir réfléchi des heures à une Grande Théorie voulant expliquer que les super-héros sont le panthéon moderne : il y a des dieux, des histoires d’amour impossibles, des révélations incroyables (ainsi untel était le frère d’unetelle, untel découvrait que sa mère était unetelle), des pouvoirs surhumains, des humains qui par leur ethos s’élèvent au rang des dieux, etc. J’en passe et des meilleures, mais j’étais assez occupé.
Et là encore, aujourd’hui je gère mon temps, je dors moins et je peux réfléchir à loisir quand le monde est couché. Je suis donc plus concentré le reste du temps, et donc je parais moins distrait.
Alors qu’au fond, depuis toutes ces années, je n’ai pas changé. Le soir par exemple, il me suffit de me poser dans mon jardin pour aller jusqu’à oublier que je reviens du travail et me demander quand j’y suis allé pour la dernière fois.
De même, pendant les vacances, je ne regarde pas l’heure plus qu’il ne le faut, et je m’en porte très bien : la lumière qui tombe m’indique que c’est le soir, et c’est bien suffisant. (Évidemment quand on a une tribu à charge on s’organise mieux, tout de même.)
Un livre dans les mains et me voilà ailleurs, tiré par les pieds vers le bas par mon entourage pour me faire revenir.
Distrait ? Pas vraiment. En vacances presque permanentes ? On se rapproche de la vérité.
Mais alors, d’où vient que j’ai failli oublier de me tenir à la consigne d’un article par semaine tout cet été ?