Ce que ne dit pas le malvoyant, c’est qu’il déteste le sport. Il a mis des années à comprendre pourquoi, il n’a même réalisé que récemment que toute son enfance et son adolescence, comme personne n’avait l’idée de dire qu’il était malvoyant (pour les filles, c’est une coquetterie, pour les parents c’est « un défaut à un œil »), il n’était pas capable de marcher sur une poutre, pas capable de renvoyer un ballon, pas capable de dribbler, paniqué à l’idée de faire du saut en hauteur parce que tout flotte quand on ne voit que d’un œil, effrayé à l’idée de lancer un javelot de peur de blesser quelqu’un. Tout le monde, prof compris, se foutait de sa capacité à rater systématiquement une passe au football, à rater la plupart de ses paniers au baskets, à rater toutes —toutes !— ses balles au tennis.
Ce que ne dit pas le malvoyant, c’est qu’il fatigue souvent de devoir, sur le ton de l’humour, réexpliquer l’éblouissement solaire quand toute la lumière vient dans un seul œil, et donc justifier d’avoir toujours une casquette à portée de main pour travailler, même en plein hiver, et des lunettes de soleil qu’aujourd’hui encore je n’avais pas rangées. Même en plein hiver. C’est toujours cocasse pour les gens autour. Soit je suis pris pour un frimeur (un touriste), soit pour un mec qui veut se faire plaindre. Or souvent je ne parle de moi que parce que, d’une certaine manière, j’ai l’impression de « documenter » ma vie, pour moi-même avant tout ; pour expliquer pourquoi, aussi. Peut-être que je suis chiant et que je devrais arrêter, d’ailleurs. On y reviendra.
Ce que ne dit pas le malvoyant, ce que ne disent pas les handicapés, souvent, c’est l’effort qu’il faut pour être gracieux.
J’y arrive plus ou moins bien. Aujourd’hui, sans raison particulière, c’est plutôt moins.
(PS : Entre l’article de la semaine dernière et celui-ci, en tout cas, le lecteur malin aura au moins saisi la notion de polyhandicap.)