Jeudi 26 novembre 1998
En avant-première du festival de Blois, j’ai vu cet après-midi un duo-débat avec Albert Jacquard (oui, le savant-philosophe qui s’est fait vider d’un immeuble hier soir) et Edmond Baudoin. Le titre : "Quelles cultures pour quels futurs citoyens ?" Y étaient invités les lycéens et puis (quand même) les adultes intéressés. J’ai donc pris mon après-midi loin du bureau (500 mètres, mais c’est toujours bon à prendre).
En fait de débat, on a plutôt assisté à une discussion consensuelle sur la tolérance, l’amour de l’autre, et des discussions sur ce qui fait réellement la démocratie. Bien sûr, je résume. Le problème, c’est que le journaliste qui présidait la séance avait un peu trop tendance à nous servir du "Professeur, que pensez-vous de...". Jacquard s’exécutait avec toute la maîtrise du parleur public, tenait le micro quelques minutes. "Et toi, Edmond, ton avis ?" Il ne restait à Baudoin qu’à dire qu’il était d’accord !
Pas une fois la question n’a été posée d’abord à Baudoin. Sauf pour lui demander si la BD était un secteur concurrenciel.
En guise de rencontre, dans l’ensemble on a plus eu l’impression d’assister à une tentative de crédibilisation de la BD en invitant des personnalités sérieuses et reconnues. Malgré tout deux utopistes qui se laissent aller, ça fait du bien.
Vendredi 27 novembre 1998
On a souvent tendance, dans frab [1], à oublier qu’un des publics principaux de la BD c’est l’enfant.
BD Boum, en revanche, aime associer la BD aux mômes, et fait largement participer les écoles à la manifestation. Aujourd’hui, j’ai passé plus de trois heures à expliquer à des gamins émerveillés (enfin j’espère) le principe de la mise en couleurs sur bleus, dans le bus affrété par le TUB, la compagnie blésoise de transports, avec une BD inédite de cinq pages de Dupuy/Berbérian. C’était vachement agréable !
Ensuite, j’ai vu des originaux de Tardi. Je n’avais jamais vraiment réalisé la qualité de son travail (eh oui). En particulier, je suis estomaqué par son grattage/gouachage du papier tramé...
Ah, et puis, il faut que je vous dise : un monsieur de France Télécom frimait avec trois ou quatre ordinateurs (France Télécom étant un sponsor de BD Boum). Comme c’est en accès libre, j’ai commencé par lui mettre l’affichage en 800x600 (il était en 640x480 !), et sur une des deux bécanes j’ai affiché Spoutnik [2], et sur l’autre Du9. Lui avait fait une recherche dans Wanadoo, et ne montrait que quelques images de mangas, ou des sites "fans". Quelques minutes plus tard, je suis repassé, il avait déjà repris les rênes. La preuve que du chemin reste à faire.
Samedi 28 novembre 1998
Je débute à dix heures du matin par la surveillance de l’exposition "Toto l’ornithorynque", BD pour enfants de tous âges. Comme c’est à l’Espace Jeunesse de la Bibliothèque Municipale, ils ont fait les choses en grand (j’allais dire "comme à Angoulême", mais les buts ne sont pas les mêmes). Figurines taille réelle de Toto l’ornithorynque, de Riri la chauve-souris, etc... Tunnel sombre avec toiles d’araignées et chauves-souris au plafond ; bref, un régal de voir les yeux exorbités des gamins.
Pour moi, la journée commence vraiment à midi. J’ai assez surveillé d’expositions, je pars en quête des gens que je veux rencontrer... Arrêt au stand BD Boum, où Yvan Alagbé et Jean-Michel Lemaire dédicacent un collectif "Algérie", au sommaire duquel s’inscrivent aussi les noms de Muñoz, de Baudoin, de Ferrandez... Au moment où j’écris ces lignes, j’ai déjà lu la contribution de Jean-Michel, écrite par son père Didier, et c’est très bien ; je vous en reparlerai).
De là, je rebondis vers Baudoin, avec toujours la même joie, la même émotion. Sandra (ma femme à l’époque de cet article) a profité de ma "réquisition" de ce matin pour le rencontrer, elle comprend enfin ce que je veux dire. Elle comprend enfin, elle aussi, ce qu’on n’arrive pas à faire comprendre à ceux à qui on l’explique : Baudoin, c’est de l’amour en branche !
Après, moment solennel : on mange.
(pause)
Je ne sais plus trop ce qui s’est passé cet après-midi, ni dans quel ordre. Je suis allé sur le stand d’Amok, où j’ai acheté trois ou quatre choses qui me tentaient. Puis sur celui de Fréon/Frigo Productions, pour feuilleter Salut Deleuze et décider de lui donner sa chance. Merci L’Indispensable ! Yvan me promet que Muñoz sera sur le stand vers quatre heures. J’ai trop couru, et pour finir je n’y suis pas retourné. Je m’en mords les doigts, mais enfin, on ne peut pas être partout !
J’ai fait la queue. Ah oui, c’est ça, cette impression de flou et d’abrutissement. J’ai fait la queue, mais peu de temps, comparativement aux "pointures" que les chasseurs de dédicaces pistent farouchement. Ce qui m’a permis de rencontrer Pascal Rabaté, pour Ibicus, dont les lumières et le traité ne sont pas sans rappeler La fille du professeur (album dont je n’ai toujours pas réussi à faire une critique...). Il a abandonné l’encrage sombre et "appliqué" dont je n’étais pas fervent, pour une mise en couleurs directe, sans traits. Pas mal, à l’oeil. Pour tester, je l’ai montré à deux ou trois personnes, et à chaque fois la réaction a été la même : ils avaient envie de le lire. C’est bon signe !
Et puis j’ai rencontré Gilles Cazaux, dessinateur des Mémoires d’un incapable, que je me suis laissé conseiller par Gael, le fan de Dupuy-Berbérian rencontré la veille dans le bus-expo et vendeur sur le stand Vents d’Ouest. Ça non plus, ça n’a pas l’air mal du tout...
Et puis, et puis, et puis... Je suis toujours surexcité et sur un nuage, en festival (avis aux participants d’Angoulême à venir !). J’ai retrouvé des amis pas vus depuis deux ans. J’ai entrevu Li-An, que je n’ai pas osé déranger tant les fans se bousculaient. De loin, on aperçoit ses lunettes, mais pas les gouttes de sueur promises sur frab ! Voilà, c’est déjà fini. C’est court, une journée. C’est fatigant. Mais c’est si bon !