J’avais déjà dit à propos du Sommeil du monstre tout le bien que j’en pensais.
J’entendais par exemple dans ActuaBD que 32 décembre était le "livre le plus médiatisé de l’année (mais aussi le plus difficile à lire)" (dixit Patrick Albray). Fort de ma résolution de ne pas me cantonner au facile, je relis Le sommeil du monstre avant d’attaquer ce nouvel opus, effectivement médiatisé comme une sortie de disque d’un chanteur à l’échelle planétaire...
Encore une bonne surprise ! Dans le premier album j’étais heureux de constater que Bilal s’était enfin décidé à faire un scénario très intelligent [1], et ce deuxième tome est encore plus surprenant, dans le bon sens du terme. L’histoire est effectivement difficile [2], mais elle reste toujours claire. L’ensemble est touffu, dense, sans temps mort mais sans précipitation.
Ce n’est pas de la BD d’action, c’est de la BD de réflexion, si l’on peut dire. L’omniprésence du souvenir, qui ancrait le premier tome dans l’histoire politique récente et me faisait penser que Bilal se rapprochait du Christin de Partie de chasse, est un peu atténuée (même si le nom de Sarajevo se répète comme un mantra), et c’est maintenant sur un autre aspect de l’esprit que porte 32 décembre : le sens de la réalité. Vous me direz que c’est à la mode, confer les Matrix et consorts qui revisitent les thèmes favoris de Philip K. Dick. Certes oui, mais ce n’est là encore qu’une partie seulement de ce qui intéresse Bilal ici.
En substance on sent surtout une extrapolation de notre présent, qui montre tant l’obscénité de l’extrémisme politico-religieux que la vacuité outrancière des happenings artistiques qui veulent se substituer à l’art lui-même.
Comme dans le premier tome, un peu de toponymie ne fait pas de mal. Warhole (le savant) se confrontait au trou fait par la guerre dans le toit de l’hôpital [3] ; il devient ici l’artiste, référence évidente à Warhol, qui en son temps s’amusait à critiquer l’art consumériste tout en y participant [4]. Mais un artiste à l’échelle globale, qui veut mettre en évidence les tares de son monde en le rendant encore plus horrible (toujours une extrapolation de l’existant, si l’on me suit toujours).
Quand je vois ses dessins, je serais bien tenté de dire que Bilal est un poseur. Mais ce serait de la pure jalousie envers un grand talent qui se fait plaisir. Il va même parfois jusqu’au presque-abstrait. Les portes interdimensionnelles sont représentées dans une manière qui dématérialise tant les portes que les gens qui y accèdent.
On ne peut pas blâmer Bilal de se faire plaisir. On ne peut que rester devant cet album, à vouloir déjà savoir comment tout cela va finir.