Surveillance et autocensure

J’ai vu il y a peu un recueil en vidéo de gens qui viennent mettre à mal le sérieux des journalistes « sur place ».

Par exemple il y a ce journaliste anglais qui veut commenter un projet de loi, mais pour que ce soit moins statique on l’a posé devant les Houses of Parliament. Sur la pelouse deux gars qui étaient bien renseignés arrivent avec une table de magie, font un tour de rapetissage appuyé par moult gestes à la caméra, c’est inoffensif et très rigolo puisque ça démonte complètement l’idée : on n’écoute plus le journaliste, on rigole en regardant le second plan.

Comme il était tard, je suis le seul à l’avoir vu.

Je me dis que je devrais le montrer à ma tribu, et je cherche quelle chaîne de recherche serait pertinente : « vidéo journaliste londres » ? Non, trop vague.

« video bombing london houses of parliament » ? Ça me semble bien mieux.

Mais j’ai un arrêt.

Par réflexe, je me dis que ce que je taperai peut être intercepté.

Dans ma requête, à part l’innocent « video », le reste de la phrase « bombing london houses of parliament » peut faire penser, au choix : que je me renseigne sur Guy Fawkes, ce serait le moindre mal ; que je cherche du matériel ; que je fais du repérage, quitte à être un peu crétin de mélanger ces termes (mais on a déjà vu des terroristes prendre tellement peu de mesures de sécurité vis-à-vis des moyens de communication, qu’après tout, c’est possible). Bref, je me suis interdit un instant de taper des mots-clés, le temps de jauger le taux de risque que cette recherche comporte.

La vidéo de la conférence de Tristan à Paris Web, Vie privée, surveillance, dépendance aux GAFAs, faut-il réinventer le web pour éviter la dystopie ? n’est pas encore en ligne, mais Tristan évoquait notamment les prisons panoptiques où le seul fait qu’un gardien puisse vous voir vous fait vous comporter comme si le gardien vous regardait, ce qui est pourtant techniquement impossible : il ne peut pas regarder tout le monde à la fois. Il peut même être parti prendre une pause, vous ne le savez pas et continuez à vous comporter comme s’il vous regardait. Là encore, je cite Tristan : quand je suis aux toilettes, il y a un verrou qui me permet de m’y enfermer. Or je n’ai rien à cacher, vous savez ce que j’y fais, mais vous tenez à vous enfermer, vous aussi.

De mémoire Tristan disait :

Le problème, c’est que quand vous vous sentez surveillé, votre comportement change. De vous-même, vous allez vous contrôler et vous interdire certaines choses.

C’est exactement ce que j’ai fait : pendant un instant je me suis interdit une démarche somme toute anodine, par peur qu’on puisse la retenir contre moi. J’ai donc été anormalement arrêté dans ma liberté de penser et d’agir. Et c’est exactement pourquoi la surveillance numérique est un frein à la liberté, même si on trouvera toujours des gens qui clameront « qu’ils n’ont rien à cacher ».

Pour finir : pour le plaisir, ma recherche une fois effectuée, voici la vidéo rigolote du magicien qui court-circuite le journaliste.

Post-scriptum : Chaopale m’envoie une vidéo éducative pour le profane.

Commentaires

  • cyberbaloo (6 janvier 2016)

    Je trouve qu’avec l’auto-censure, on a plus le comportement qu’on avait et franchement, ca devient de plus en plus difficile de s’exprimer sans pour autant s’exposer. Ma frustration grandit de jour en jour et je regrette un peu le temps de l’insouciance du début de l’internet ... tout en restant consciente !

    Répondre à cyberbaloo

  • PhilippeVay (6 janvier 2016)

    Autre exemple perso pour ajouter de l’eau à ton moulin et à celui de Tristan : j’ai dernièrement voulu chercher des infos sur un film dont le titre est ’Little Children’ (le réalisateur ayant joué dans Eyes Wide Shut, entre autres et le film ayant une plutôt bonne note sur IMDB, pour ce que ça vaut).

    Même réaction au moment de lancer une recherche : houla, qu’ajouter comme terme qui ne soit pas équivoque, à part "movie" ?

    Répondre à PhilippeVay

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