Moment de courage

On parle d’heure de gloire, d’heure de vérité, de morceau de bravoure, mais tout ça est au sens figuré. Et les vrais petits moments de courage, alors ?

On parle d’heure de gloire, d’heure de vérité, de morceau de bravoure, mais tout ça est au sens figuré. Et les vrais petits moments de courage, alors ?

Un jour vous décidez comme vos camarades étudiants de faire grève parce qu’une loi qui n’existe pas encore met, selon vous qui n’êtes pas mieux informé que n’importe qui mais qui accordez votre confiance aux ténors syndicaux, le futur de l’université en danger. L’Université, avec une majuscule, pardon.

Votre devoir sacré, pas pour vous évidemment, le temps que la loi s’applique, mais pour ceux qui viennent après parce que vous êtes encore altruiste comme un enfant du haut de vos vingt ans, c’est d’empêcher que cette loi n’existe.

Vous faites tous les efforts possibles pour rameuter la garde ; vous distribuez des prospectus dans des facs moins concernées par le problème, qui, rappelons-le, est crucial ; vous haranguez ceux de vos camarades qui n’ont pas la clairvoyance de quitter les cours pour venir manifester leur désaccord ; vous vous asseyez au milieu des carrefours pour que la rue entende la juste clameur du peuple étudiant.

Forcément, vous finissez parmi les leaders, sans trop savoir pourquoi, parce qu’il faut bien que quelqu’un parle fort et fasse avancer les choses.

Vous devenez le camarade de combat d’un certain nombre de personnes, à la vie à la mort, que vous ne connaissiez pas deux semaines plus tôt.

Vous finissez même par être reçu par les doyens de votre faculté, qui vous exposent le projet de loi. Sans même chercher à vous ridiculiser, ils vous font comprendre que vous vous trompez du tout au tout, et que la loi est même meilleure que celle qui est en place.

Ils vous expliquent que tous les cours auxquels vous assistez sont en dépassement par rapport à la loi actuelle, payés malgré la loi par votre Université, et que cette nouvelle loi offre en réalité un cursus plus complet avant même les ajouts que chaque université peut souhaiter incorporer. Pour vous passer les détails, retenons simplement que malgré leur agacement devant le bordel sans nom auquel vous avez contribué, ils restent des pédagogues patients et dévoués.

Mais voilà, vous allez retourner devant un amphithéâtre chauffé à blanc, et comme tous les jours annoncer à un petit millier de personnes les progrès accomplis dans la grande lutte.

Pour vous qui n’avez pas connu Mai 68, ça ressemble à une Assemblée Générale comme dans les films, les gens assis partout, l’air tiède d’énergie pleine d’hormones bouillonnantes, les camardes qui défilent pour lister les taux d’absentéisme et les si belles affiches, et les légers maquillages de réalité pour mettre encore plus de quidams du côté de la lutte (on ne fait pas d’omelettes sans casser d’oeufs).

Devant une assemblée médusée, vous dites simplement ce que vos enseignants vous ont expliqué. Et voilà votre moment de courage. Vous prenez votre souffle, et déclarez fermement : « Voilà. J’ai la sale sensation d’avoir été entubé, je ne sais pas très bien par qui, et c’est assez désagréable. J’ai l’intention de retourner en cours dès cet après-midi. » Vous sortez, traversez tout l’amphithéâtre silencieux, qui vous enveloppe de ses paires d’yeux, montez les escaliers en regardant de droite et de gauche sans animosité.

Curieusement un nombre étonnant de vos nouveaux meilleurs amis, de ce jour-là, ne vous adressent plus la parole. Soit que vous êtes un traître, soit que vous les empêchez d’accéder à l’ambition syndicalo-mégalomane dont ils rêvent.

Et puis quelques jours plus tard, un de ces enseignants vous croise, dit qu’il a eu vent de votre coup d’éclat, et conclut simplement : « Je n’en attendais pas moins de vous. »

Vous savez que vous avez fait le bon choix, et ne regrettez plus rien. Un instant, même, vous êtes fier et savez que vous n’oublierez jamais.

Commentaires

  • Frédéric (27 juin 2006)

    Mmmmhh, jolie histoire, belle écriture aussi. Pas évident de mêler le narratif au ressenti comme ça, bravo Stéphane !

    Répondre à Frédéric

  • Stéphane (27 juin 2006, en réponse à Frédéric)

    Merci m’sieur. C’est là-dessus que je « travaille » en ce moment, la faute à des diaristes de talent comme Frédéric Beigbeder par exemple...

    Répondre à Stéphane

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