Moins de lecture, plus d’écran

On croit qu’on lit moins parce qu’on est fatigué, alors qu’on est, aussi, entraîné à moins lire à notre insu.

Pep raconte son incapacité à lire les livres qu’il a dans sa besace :

Avec ces histoires de grosses charges au boulot, j’ai décroché de mes lectures depuis plusieurs semaines. Neurones en saturation. Il m’était devenu difficile d’assimiler convenablement les livres qui me passaient entre les mains. Plutôt que de gaspiller, j’ai donc préféré reporter, remisant ces précieux bouquins pour plus tard. C’est donc à grand renfort de « binge-watching » Netflix que j’ai achevé mon autolobotomie. Abrutissement réussi à merveille, je dois bien le reconnaître. Tellement réussi qu’il m’a semblé pénible de chercher à m’en sortir ce week-end. La preuve, s’il m’en fallait encore une, que de pas très malin à totalement idiot, il n’y a souvent qu’un clic. En tout cas lorsqu’il s’agit de ma pomme.

Il m’arrive la même chose, pour un certain nombre de raisons, que j’identifie en partie (investissement mental dans le travail, esprit occupé par la vie privée, notamment), mais il y a un vrai cercle vicieux à l’autolobotomie, comme le néologise Pep (Pep avec qui, vraiment, il faudra que je boive un verre un jour, mais c’est une autre histoire).

Note liminaire : il ne faut pas ignorer, non plus, le fait qu’on traverse des phases dans l’existence, de fatigue soit physique, soit morale, soit mentale ; voire plusieurs à la fois. Pour l’instant je laisse couler, partant du principe que mon cerveau est déjà bien sollicité dans le travail, il est sans doute assez naturel qu’il ait moins envie qu’on le tanne encore hors du bureau. J’avais un prof à la fac à qui je parlais de bande dessinée, qui aimait pourtant beaucoup ça, mais qui ne voulait pas lire de trucs conceptuels qui prenaient la tête. J’ai mis longtemps à l’accepter, défaut de jeunesse qui passe avec l’âge ; je comprends maintenant tout à fait ce qu’il voulait dire.

Pour revenir à notre sujet, parlons de Netflix : il y a des patterns (des modèles de design) mis en place pour que nous consommions. Dans une vie antérieure, je regardais les séries à travers leurs coffrets DVD. Oui, bon, le plastique c’est pas écologique et tout ça, mais restez avec moi.

Le coffret DVD, malgré l’impression d’abondance qu’on avait, malgré cette possibilité de regarder des rafales d’épisodes (le fameux binge watching dont parle Pep), on arrêtait à un moment parce qu’il fallait lever sa couenne du canapé pour changer de disque, tous les trois à quatre épisodes selon la série. Et tant qu’à être debout, on se disait « Tiens tant qu’à être debout (quitte à répéter le début de ma phrase dans cette fausse citation imbriquée, si vous me suivez toujours), tant qu’à être debout autant en profiter pour éteindre la téloche et aller me brosser les quenottes, un pissou et au lit. »

Or, avec un service comme Netflix, le binge watching est alimenté par un pattern qui n’attend pas une seconde, dès le générique de fin d’un épisode, pour nous proposer le suivant. Pour exciter, en plus, la zone du cerveau qui fait qu’on est des cibles privilégiées des ventes-flash, un petit compteur dit « prochain épisode dans 20 secondes », 19, 18, 17.

Alors, faibles humains que nous sommes, nous cliquons vite sur l’épisode suivant au lieu d’aller nous coucher. Et si en plus tu as laissé traîner une tablette de chocolat ou une confiserie quelconque, ton dentiste dit « deux fois pas merci Netflix » !

Pour résumer mon propos : non seulement on s’abrutit dans le divertissement parce qu’on est fatigué du reste (et que bon, le pain et les jeux, ça ne date pas d’hier), mais en plus on excite nos papilles abêtissantes. Le cerveau reptilien, qui adore qu’on lui chatouille la glande à plaisir, trop content, saute sur l’occasion. On n’est pas loin du tout du cercle vicieux, raison pour laquelle je vais bientôt me désabonner de Netflix.

Mais pas tout de suite, j’ai quinze trucs à regarder encore dans ma liste. CQFD, les patterns ont bien marché.

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