Jeff Veen sur la pratique

Un vieux de la vieille, et le plaisir toujours renouvelé d’écouter son intelligence.

Ces jours-ci je suis en train de lire Offscreen, une de ces revues de gens qui passent trop de temps devant un écran mais sont trop passionnés par leur travail pour l’oublier réellement quand ils s’en éloignent (comme The Manual par exemple).

Et comme elles sont faites par des passionnés de design, elles sont très belles. Le choix du papier, de l’iconographie, des typographies, tout est méticuleusement fait pour qu’on sente le bon goût du jour.

Tant mieux, ça fait plaisir à toucher, à feuilleter, et à lire — ça tombe bien, c’est quand même fait pour être lu.

Il y a dans ses pages, à mon goût, trop de hipsters interchangeables, tous avec la même petite chemise de bûcheron cintrée, la même barbe entretenue, les mêmes lunettes démodées il y a trente ans (donc hype), le même gel discret dans les cheveux.

Mais au milieu de tout ça, vous pouvez retomber sur des gens qui à un moment ont compté dans votre évolution. C’est le cas dans ce numéro : Jeff Veen, un de mes héros de l’époque pionnière de Wired, que je lisais à la même époque qu’écrivaient frénétiquement, quotidiennement, les Jeffrey Zeldman et les Molly Holzschlag.

Une petite citation ? Allez, une petite citation.

You’ll never master your craft; there will always be more you can learn. You need to keep practising and make it a habit that you force yourself to do every day. Those are big words — the sort of thing you hear tossed out at the end of a keynote presentation at a conference. But what you won’t hear as often is this: no matter how experienced or seemingly successful someone is, it never really gets any easier. At least, that’s how it’s been for me. But it’s also how it should be.

Traduction approximative :

Vous ne maîtriserez jamais votre art ; vous pourrez toujours en apprendre davantage. Vous devez continuer à vous entraîner, et en faire une habitude que vous vous efforcerez de suivre chaque jour. Ce sont des grands mots, de ceux qu’on jette à la fin d’une présentation plénière à une conférence. Mais ce que vous n’entendrez pas si souvent, c’est ça : quelle que soit votre expérience, quelle que soit l’impression de succès que vous dégagez, ça ne devient jamais plus facile. Au moins, c’est ce que j’ai vécu. Mais c’est comme ça que ça devrait être.

On ne peut qu’être d’accord avec lui. Je ne cesse jamais vraiment d’apprendre, et quand je n’apprends plus du tout c’est le moment où je sens que le vent regonfle mes voiles et je vais me poser un peu plus loin.

À un autre endroit de l’article, Jeff Veen dit qu’il a toujours trouvé un moyen d’être en équilibre entre ce qu’il connaît déjà et ce qui semble trop difficile à apprendre : c’est pile au milieu que la courbe d’apprentissage paraît atteignable sans pour autant qu’on se repose sur ses lauriers (je paraphrase, mais vous cernez l’idée).

Bref, rien que pour cette interview, Offscreen mérite d’être lu. Ou volé à un de vos collègues, par exemple.

Commentaires

  • Nico (15 novembre 2013)

    Pour ma part, j’ai remarqué que ma perception de mes connaissances ressemblait beaucoup à la perception de la science : dans les années avant les théories d’Einstein, on se disait que tout avait été découvert, il ne restait que quelques légères anomalies, qu’on allait bien résoudre. Les petites anomalies en question ont ouvert une brèche que les scientifiques n’ont pas encore résolue aujourd’hui.

    À chaque fois que j’ai l’impression d’avoir fait le tour de la question ou de ne plus voir de surprise dans un sujet, il m’arrive un truc inattendu, parfois qui m’engage à entièrement revoir ma vision ou à fortement la faire obliquer.

    En fait, ça ne devient pas plus facile, mais plus riche.

    Répondre à Nico

  • karl (15 novembre 2013)

    Le choc a été de voir sur le site que Jeffrey Veen avait vieilli… beaucoup. Et puis je suis allé me voir dans le miroir et j’ai pleuré ;)

    Pour l’acquisition des connaissances, oui. Avec aussi un joli tour de notre industrie qui fait qu’elle bouge plus vite que notre capacité à apprendre (d’où la spécialisation). Le matériau change pas uniquement la pratique. Un potier peut spécialiser sa pratique et viser la perfection (sans jamais l’atteindre). Il pousse son expertise. Nous avons la chance(?) que notre domaine nous remet en question. Un potier qui aurait des terres neuves, un four neuf, des outils neufs tout le temps.

    Répondre à karl

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